Berlinale 2023 : projeté dans Berlinale Special Gala, L’ultima notte di Amore, d’Andrea Di Stefano, suit un policier à la veille de retraite, mêlant triller et portrait psychologique
L’ultima notte di Amore est la troisième réalisation de Di Stefano, un acteur qui est passé derrière la caméra avec succès, après ses débuts internationaux avec Escobar (2014), suivi de The Informer (2019), qui le ramène enfin en Italie où il dirige une impressionnante brochette de comédiens composée de Pierfrancesco Favino, Linda Caridi, Andrea Gerardi et Francesco Di Leva. Le film est projeté durant le Festival de cinéma de Berlin dans Berlinale Special Gala avant d’arriver en salles en Italie début mars.
Dans le communiqué de presse officiel, le directeur artistique Carlo Chatrian a défini les films de Berlinale Special comme « un excellent exemple de la façon dont le cinéma peut être coloré, vibrant, engagé, divertissant et captivant ».
Si l’Italie est présente avec le documentaire de Mario Martone, intitulé Massimo Troisi: Laggiù qualcuno mi ama ( Massimo Troisi : Quelqu’un m’aime là-bas), hommage au légendaire Massimo Troisi, acteur et comédien né à San Giorgio a Cremano, qui a marqué les cinéphiles avec, entre autres, avec Il postino (1994) avant de disparaître prématurément, le cinéma de la péninsule a défendu aussi ses couleurs avec L’ultima notte di Amore, avec Pierfrancesco Favino en tête d’affiche qui y joue un policier qui patrouille dans les rues de Milan pour sa dernière de service.
Si les Italophones peuvent se laisser tenter de penser que le réalisateur fait allusion à « Une ultime nuit d’amour », le titre permettant le double sens, l’égarement n’est plus possible dès les premières séquences alors que la caméra d’Andrea Di Stefano suit le Lieutenant Franco Amore. Mais comme le souligne le synopsis italien, tout, chez Franco Amore, est amour.
Le film d’Andrea Di Stefano s’ouvre sur des vues aériennes nocturnes de Milan, accompagnées par des soupirs qui s’accélèrent et deviennent progressivement musicaux, rythmés par des percussions. Les divers bâtiments milanais, dont de nombreux gratte-ciels, offrent une impression vertigineuse de la ville qui semble tentaculaire, mise en valeur par ses nombreuses ramifications lumineuses. Le décor mis en place par Andrea Di Stefano n’a rien à envier aux mégaproductions américaines et donne immédiatement le ton : le cinéaste plonge son public dans un thriller haletant qui va prendre rapidement des tournures psychologiques.
Di Stefano survole la ville qui semble très animée malgré les heures avancées de la nuit, passe au-dessus de la gare de Milano Centrale puis se met délicatement à plonger vers les rues, se rapprochant d’un appartement où les couples se croisent et s’enlacent en sirotant quelques cocktails sur une musique de Loredana Berté, In alto mare. Ces personnes semblent attendre quelque chose : on comprend alors que la maîtresse de maison a réuni des amis pour faire une fête-surprise de départ à la retraite pour Franco, son mari, que l’on attend. Franco finit par arriver, mais à peine est-il en train de tremper les lèvres dans une flûte de spumante qu’il reçoit un appel de Sarno, son supérieur : il doit repartir aussitôt. Franco Amore arrive sur place et apprend que son binôme, Dino Ruggieri, a été assassiné.
Puis, sans crier gare, Andrea Di Stefano nous fait remonter le temps, dix jours plus tôt, filmant Milan en vues aériennes diurnes. On retrouve Franco Amore, à l’arrêt dans sa voiture, prenant des notes – du moins, c’est ce que l’on croit initialement – et écoutant Propaganda de Fabri Fibra, Colapesce & Dimartino. On comprend que Franco est en planque, observant Cosimo, le cousin de sa femme en pourparlers dans un bar et on réalise qu’il ne prend pas de notes mais écrit des paroles sur un air de rap. Ensuite, on le retrouve avec Cosimo (Antonio Gerardi), essayant de réanimer un homme chinois âgé qui semble avoir fait sa crise cardiaque après des ébats avec une jeune prostituée. Dans la scène suivante, on retrouve Franco, sa femme Viviana et Cosimo accueillis par Zhang Zhu, cet homme chinois dont ils ont sauvé la vie et qui leur offre un emploi dans la « sécurité ». Mais Franco souligne qu’il n’emprunte jamais les chemins qui l’éloignent de la loi et qu’il en rediscutera une fois à la retraite. Ce que Franco ne sait pas, c’est que Cosimo, pour cinq mille euros chacun, a déjà mordu à l’hameçon et a déjà engagé leurs services. Quelques scènes plus tard, Franco Adore et son collègue Dino Ruggieri se retrouvent à l’aéroport de Milano Linate pour accueillir et véhiculer des Chinois et leur valise au contenu précieux.
On dit que chez Franco Amore, c’est l’Amour de son nom qui le caractérise. Tout au long de sa vie, ce natif des Pouilles a essayé d’être une personne honnête, respectable et respectueuse des lois, un policier qui, en trente-cinq ans de carrière honorable, n’a jamais tiré sur un homme. Ce sont en fait les mots que Franco a écrits dans le discours qu’il prononcera le lendemain de sa dernière nuit de service. Mais cette nuit sera plus longue et plus difficile qu’il n’aurait jamais pu l’imaginer, entraînant les spectateurs dans un enchaînement de situations qui se répondent par échos, donnant des clefs de lecture successives au public.
Bien malgré lui, Franco mettra en danger tout ce qui compte pour lui : son travail de fonctionnaire, son grand amour pour sa femme Viviana (Linda Caridi) et leur fille, son amitié avec son collègue et équipier Dino Ruggieri (Francesco Di Leva), sa propre vie. Cette nuit-là, tout se noue frénétiquement dans les rues d’un Milan où la lumière ne semble jamais trouver sa voie, si ce n’est les lumières artificielles qui permettent de voir les Galeries Vittorio Emmanuele ou le Dôme, majestueux. Mais ces lumières artificielles font-elles ombrage à la lumière de la vérité ?
Andrea Di Stefano a créé un thriller tant d’action que psychologique, à géométries et résonances variables, troublantes, d’une intense efficacité, au rythme soutenu et empli de suspense, jouant avec les règles du genre en mêlant le fatalisme du film noir classique aux émotions passionnées du mélodrame. Le mécanisme d’horlogerie du récit ne se contente pas de perfectionner la dimension les personnages au fil du récit mais apporte également un éclairage nouveau sur un environnement et une ville qui se maintenant périlleusement à la frontière entre le droit et la criminalité.
Le film, mis en valeur par une photographie picturale signée Guido Michelotti (L’Immortel), et accompagné par une bande-son originale signée par le compositeur Santi Pulvirenti qui soutient les scènes, en particulier nocturnes, qui entraînent les spectateurs dans une course contre-la-montre pour sauver ce qui peut encore l’être.
Avec L’ultima notte di Amore, premier long métrage en langue italienne en tant que réalisateur pour Andrea Di Stefano, le cinéaste prouve son immense maîtrise tant de la mise en scène que de la direction d’acteurs.
Firouz E. Pillet
© j:mag Tous droits réservés