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Berlinale 2023 : Sonja Heiss ouvre la compétition de la section Generation 14plus avec Wann wird es endlich wieder so, wie es nie war (When Will It Be Again Like It Was Before), une comédie dramatique émouvante

Basé sur le roman éponyme autobiographique de Joachim Meyerhoff (paru en français sous le titre: Jusqu’ici et pas au-delà) et doté d’une excellente distribution, le film de Sonja Heiss s’ouvre sur une sortie familiale à la mer : le père de famille, Richard (Devid Striesow), allongé sur un linge, regarde les enfants jouer, en particulier Joachim, parti se baigner avec la chienne Aika. La mère de famille, Iris (Laura Tonke), commence à ranger et empaqueter les affaires. Dans la scène suivante, accompagnée par This Is The Day, du groupe The The, les parents conçoivent des charades pour les trois enfants, mais Josse peine à trouver les réponses ; la mère l’aide et les frères plus âgés s’en indignent, ce qui déclenche une crise de Josse. La voiture familiale arrive devant les portes grillagées d’une immense bâtisse ancienne : l’hôpital psychiatrique de Hesterberg. Richard, qui n’est autre que le directeur de l’hôpital, et sa femme placent Joachim, qu’ils appellent affectueusement Josse, sur la machine à laver et l’incitent à chanter : les vibrations du tambour en marche le calment presque instantanément.

— Arsseni Bultmann et Laura Tonke – Wann wird es endlich wieder so, wie es nie war
© Komplizen Film GmbH / Warner Bros. Entertainment GmbH / Frédéric Batier

Grandir sur le terrain du plus grand hôpital psychiatrique du Schleswig-Holstein est un contexte bien différent d’une famille dite « classique », mais le film de Sonja Heiss nous livre, de manière poétique et délicate, une vie de famille faite de moments de joie, de rires, de tendresse dans des décors qui fleurent bon les années septante et quatre-vingts.

Certains volent au-dessus d’un nid de coucou, mais Joachim Meyerhoff, qui a passé une enfance protégée en plein cœur d’un asile psychiatrique, offre un regard dénué de préjugés. Son père, Hermann Meyerhoff, était directeur de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à Hesterberg près du Schleswig-Holstein. À la différence du père décrit dans le livre, Sonja Heiss pousse certains traits de caractère du directeur en le montrant dans de nombreuses situations surprenantes, mêlant allègrement travail et vie privée, invitant ses patients dans le cercle intime de la famille au détriment de cette dernière. Par exemple, pour l’anniversaire de sa femme, le directeur choisit d’inviter des patients plutôt que des amis, des parents ou des collègues au goûter d’anniversaire. Cela débouche sur des scènes loufoques où la patiente, Margret, qui parle sans desserrer les poings, répète en boucle : « Oh, le gâteau a l’air délicieux mais il n’est pas bon, je n’en veux pas.» Mais cela provoque aussi des remises en question quand un patient souligne que la mère de famille se consacre à ses proches et « travaille sans être rémunérée ».

Pour le jeune Joachim, qui grandit avec tolérance, ces patients sont comme une famille qu’il croise quotidiennement, se faisant un point d’honneur et l’habitude d’échanger avec chacun d’eux avec bienveillance. D’ailleurs, ces patients sont aussi beaucoup plus gentils avec lui que ses deux frères aînés, Patrick et Philipp, qui le provoquent et le poussent à des accès de rage. Sa mère, peignant des aquarelles de Rome, de l’Ombrie, de la Toscane, se souvient de la belle époque qu’elle a passée en Italie et aspire avec nostalgie aux nuits d’été italiennes au lieu de la pluie incessante du nord de l’Allemagne tandis que son père, secrètement, mais pas assez discrètement, suit son propre chemin.

Enfant comme adolescent, Joachim rapproche les lits jumeaux de ses parents en espérant que son père ne regarde pas ailleurs, surtout vers sa secrétaire, Madame Ehlers. Alors que sa mère le laisse faire, elle lui fait comprendre la situation avec finesse en séparant aussitôt les deux lits. Au fil des ans, tandis que Joachim grandit et qu’il prend conscience de certains secrets de la famille, son monde se fissure de plus en plus – et pas seulement à cause de la perte de son premier amour, Marlene. Cela débouche sur une soirée de Noël mémorable qui vire au drame émotionnel. Joachim est le plus jeune de la fratrie mais le plus proche et le plus protecteur avec leur mère, ce que la réalisatrice a su montrer avec justesse et délicatesse.

— Anne Müller, Sophie Jacob, Merlin Rose, Leon Cliff – Wann wird es endlich wieder so, wie es nie war
© Komplizen Film GmbH / Warner Bros. Entertainment GmbH / Frédéric Batier

Racontant une histoire tendre, emplie de romance et de nostalgie du début à la fin, le film de Sonja Heiss, qui a co-écrit le scénario avec Lars Hubrich, est magnifiquement bien interprété et dirigé, se révélant incroyablement drôle et profondément émouvant. Le choix que la cinéaste a fait d’opter pour une distribution composée d’acteurs professionnels et d’acteurs non professionnels, avec et sans troubles psychiatriques, crée une authenticité qui soutient judicieusement le récit en le mettant en valeur. Suivant trois parties – enfance, adolescence, âge adulte -, le personnage principal de Joachim est joué par trois acteurs différents, Camille Loup Moltzen, Arsseni Bultmann et Merlin Rose, tous trois excellents.

Sonja Heiss avait déjà été invitée à la Berlinale à deux reprises : son premier long métrage, Hotel Very Welcome, a été présenté en première dans la section Perspective Deutsches Kino en 2007, et Hedi Schneider Is Stuck dans la section Forum en 2015. Les deux films ont remporté de nombreux prix internationaux, dont le prix Dialogue en perspective à la Berlinale, le prix First Steps, entre autres.

Ouvrant la compétition la section Generation 14plus avec Wann wird es endlich wieder so, wie es nie war , ce film risque fort d’apporter un nouveau prix à Sonja Heiss !

Firouz E. Pillet

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