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Berlinale 2024 – Forum : The Human Hibernation, d’Anna Cornudella Castro, invite à une réflexion sur l’être humain, ses relations contradictoires avec son environnement et la condition animale

La cinéaste catalane fait ses débuts avec un premier long métrage qui questionne sur la condition humaine si elle avait été différente, plus en harmonie avec la nature.

— Clara Muck Dietrich, Demetrius Hollimon, Jane Hubbell, Brian Stevens, Neil O’Neil Solidago, Solidago River, Kris Koon, Dustin Bothwell – The Human Hibernation
Image courtoisie Berlinale

Erin se réveille et trouve le sol couvert d’un épais manteau de neige : il est sorti trop tôt de son hibernation. Alors qu’il parcourt la forêt enneigée à la recherche de sa sœur aînée, Clara, il succombe aux températures glaciales. Les jours rallongent ; la neige fond. Les autres humains se réveillent enfin de leur hibernation, reprennent leur vie, débarrassent leurs maisons de la végétation excessive. C’est désormais Clara qui cherche son frère, en vain.

Sous la forme d’un faux documentaire et sur un scénario co-écrit avec Lluís Sellarès, la réalisatrice espagnole recrée une société hypothétique dans laquelle les êtres humains sont une espèce animale qui dort pendant les trois mois de l’hiver. Anna Cornudella Castro filme avec méticulosité tous les signes de l’éveil du printemps : des herbes vertes que broutent avec régal quelques biches, les croassements des corbeaux qui parviennent des cimes des arbres. La nature s’éveille et à mesure que la sève printanière ravive la végétation, des brames retentissent, des grognements, des stridulations reflètent la vie qui reprend. Toujours à la recherche de son frère, Clara emmènera le public dans un étrange périple de questions, de réponses et de confrontation aux récits fondateurs de la société dans laquelle elle vit, transmis par les anciens aux jeunes générations.

Dans ce récit fantastique qui alterne méditation, contemplation et science-fiction, la réalisatrice brouille d’emblée les frontières entre humains et animaux et s’amuse à inverser les rôles dans un anthropomorphisme déroutant. Ainsi, alors que les humains sortent lentement de leur long sommeil et de leur torpeur, des gallinacés semblent vaquer à leurs occupations dans la cuisine d’une chaumière et dans une pièce adjacente, un cheval se penche par la fenêtre pour regarder l’extérieur.

Poursuivant sa description de ce monde merveilleux ou fantastique – selon le point de vue que l’on adopte, passéiste ou futuriste – la réalisatrice se questionne sur l’effet que l’hibernation humaine aurait sur d’autres écosystèmes ainsi que sur la relation avec l’environnement. The Human Hibernation révèle progressivement un monde irréel, dans lequel la barrière entre les animaux et les humains est imperceptible. Dans ce monde homérique, mis en lumière par la photographie picturale signée Arthur Pol Camprubí, l’être humain communique et s’unit au reste de l’espèce de manière plus égale, ayant pris conscience que les animaux perçoivent et comprennent tout, pouvant lire dans les esprits des êtres humains.

La caméra d’Anna Cornudella Castro explore un monde caquetant, meuglant, hennissant, reniflant, humant, dans lequel la frontière entre le monde des humains et celui des animaux semble ténue pour mieux s’entremêler. Le récit distille une atmosphère hypnotique qui entretient le mystère et l’étrangeté de cet univers qui déconcerte tout en attirant par son magnétisme. Au fil de sa quête, la jeune Clara questionne les humains sur leur pratique de l’hibernation, sur ce qui arrive à leurs congénères qui se réveillent trop tôt; les anciens lui révèlent comment divers mondes coexistent et communiquent, se chevauchent,

Suivant un rythme méditatif, cette fable qui flirte avec l’utopie montre les êtres humains vivant de manière symbiotique en pleine conscience et en complète connexion avec leur environnement et l’écosystème qui les entoure. L’hibernation empêche les humains d’avoir un contrôle absolu sur l’environnement et les amène à être plus respectueux de la nature.

La cinéaste dévoile ses intentions :

« Dans ce film, nous entendons réfléchir sur notre rôle en tant qu’animaux au sein d’un immense mécanisme en constante transformation et adaptation, et en même temps, mettre en évidence l’anthropocentrisme dans lequel nous sommes. immergés et ses conséquences. Le fait que certaines personnes et formes de vie existant dans notre société actuelle fonctionnent à leur tour dans une histoire fictive totalement utopique/dystopique, nous connecte directement à cette proto-société et nous fait réfléchir aux multiples façons d’habiter notre environnement. »

Le zoomorphisme a maintes fois inspiré les cinéastes. On songe au film de Yorgos Lanthimos, The Lobster (2015) où les personnes célibataires sont changées en animaux ou plus récemment au film de Thomas Cailley, Le règne animal (2023) ou encore aux diverses adaptations cinématographiques du classique d’H.G. Wells The Island of Doctor Moreau (L’île du docteur Moreau), où un savant mégalomane crée des êtres mi-humains, mi-bêtes.

Au fil de la description de cette société utopique, la réalisatrice catalane questionne le public sur la nôtre, nous interrogeant sur notre rôle en tant qu’animaux au sein d’un immense écosystème qui ne cesse de se transformer et de s’adapter et mettant en exergue l’anthropocentrisme qui conditionne notre façon de regarder le monde tant végétal qu’animal.

Brossant un tableau à la fois philosophique, romantique et fantastique, la jeune cinéaste catalane a placé la barre haut et s’en sort avec brio.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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