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Berlinale 2024 – Encounters : Arcadia de Yorgos Zois – Une odyssée dans l’entre-deux monde

Au volant d’une voiture, Yannis (Vangelis Mourikis), accompagné de Katerina (Angeliki Papoulia) allongée à l’arrière, traverse un paysage baigné par la lumière morne d’un crépuscule de matin d’automne. Ils franchissent un barrage par la route surplombant l’endroit. Soudain, Yannis stoppe brusquement, sort de la voiture et vomit sur sa chaussure. Pendant ce temps, Katerina se réveille en panique. À l’hôpital de la petite ville, un policier local les attend, car il est nécessaire d’identifier le corps d’une femme dont le véhicule a basculé par-dessus le parapet du barrage. À la morgue, le policier révèle que la femme n’était pas seule dans la voiture ; un homme l’accompagnait, et ils avaient loué un appartement de vacances ensemble.

— Vangelis Mourikis – Arcadia
© Foss Production, Homemade Films, Red Carpet

Un parfum de mystère enveloppe ce préambule. Qui est Yannis, que le policier appelle docteur, et qui est cette femme à la morgue ? Est-elle la fille de Yannis et Katerina, une amie ou un autre membre de la famille ? Ensemble – Yannis, Katerina, le policier et les spectateurs∙trices – nous nous rendons à l’appartement de vacances. Ce ne sont pas tant des réponses que de nouvelles questions que nous allons y trouver. Qui est ce jeune homme qui frappe avec une balle contre la baie vitrée ? Est-il le fils de la propriétaire des lieux ? Et pourquoi Katerina semble-t-elle coincée dans ses chaussures à talons hauts ?

Yannis semble perdu dans ce maelström d’incompréhension, tandis que Katerina, plus terre à terre mais tout aussi déterminée à comprendre, l’accompagne dans sa quête. Un voyage parmi les disparu∙es commence, les deux protagonistes suivant des chemins parallèles pour finalement se retrouver dans une reconstitution de leur relation passée.

Yannis, médecin privé de son droit d’exercer, se lance sur la piste des objets matériels. Il fouille le téléphone de la femme décédée, dort dans le lit où elle a passé ses dernières nuits, observe ses habitudes alimentaires et se rend sur les lieux de l’accident où la femme de Petros, l’homme également mort dans la voiture, est également présente.
De son côté, Katerina suit Nikos, l’étrange garçon de la maison, qui la conduit dans un mystérieux bar de plage appelé l’Arcadia. Là-bas, une sorte d’orgie tranquille se déroule sous ses yeux avant qu’une femme ne s’approche d’elle et l’entraîne dans une étrange séance initiatique en lui remettant la première clé de compréhension : « laisse-la t’emporter », « choisis ce dont tu veux te souvenir ».

Yorgos Zois insuffle une grande dose de poésie et de mélancolie dans son film, tout en y ajoutant une touche d’humour laconique qui empêche toute tentative d’apitoiement ou de manipulation émotionnelle. Dans un mouvement double, il excarne les personnes présentes et incarne les disparu∙es, qui tour à tour tentent de consoler les survivant∙es, leur rendent visite ou les supplient de les libérer. Les mort∙es dansent parmi les vivant∙es, qui semblent parfois plus éteint∙es qu’eux.

On croit toujours connaître les gens, oubliant que nous-mêmes avons nos zones d’ombres, nos jardins secrets. Pourquoi en serait-il autrement pour nos proches ? Certains vivant∙es s’accrochent à leurs fantômes à travers leur chagrin, leur deuil inachevé, leur douleur, leur obsession, leur culpabilité, leur ressentiment, leur haine, leur amour. D’autres, comme le policier qui a perdu sa chienne dans le marais, parviennent à s’en défaire malgré l’immense douleur. Quand il la retrouve morte, il pleure à verse, mais il sait qu’il ne doit plus l’attendre maintenant qu’il a compris qu’elle ne reviendra plus.
Cependant, il existe aussi des fantômes qui s’accrochent à leurs vivant∙es. Dans l’interstice des psychés se nichent les mêmes ressorts qui pourraient faire dire à un∙e disparu∙e :

« Nous ne sommes pas là parce qu’ils se rappellent de nous, mais parce qu’il y a des choses inachevées entre nous. Ce sont eux qui nous hantent, pas l’inverse. »

— Angeliki Papoulia – Arcadia
© Foss Production, Homemade Films, Red Carpet

La musique envoûtante et les mouvements de caméra lents, les apparitions qui parfois semblent en être et parfois non, cette fluidité naturaliste dans des mondes (méta)physiques qui s’entremêlent, les souvenirs qui s’entrelacent, les moments étranges où des choses simples et quotidiennes ne peuvent s’exécuter, font d’Arcadia une magnifique mélopée, avec pour lieu cinématographique et symbolique le un barrage sur lequel l’amour se fracasse d’un côté et renaît de l’autre sous la forme de l’acceptation, du geste généreux et courageux qui consiste à lâcher-prise.

De Yorgos Zois; avec Vangelis Mourikis, Angeliki Papoulia, Elena Topalidou, Nikolas Papagiannis, Vangelis Evangelinos, Antonis Tsiotsiopoulos, Asteris Rimagmos, Eena Mavridou, Flomaria Papadaki, Giorgos Biniaris; Grèce; 2024; 99 minutes.

Malik Berkati, Berlin

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Malik Berkati

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