Berlinale 2025 – Panorama : Schwesterherz (The Good Sister), de Sarah Miro Fischer, ausculte les conflits d’allégeance et de loyauté au cœur d’une fratrie
Récemment diplômée de l’Académie allemande du cinéma et de la télévision de Berlin (DFFB), la réalisatrice allemande fait ses débuts en concourant avec son premier long métrage présenté dans la section Panorama de la 75ème Berlinale.
© Selma von Polheim Gravesen / dffb
Schwesterherz (The Good Sister) s’ouvre sur une scène nocturne alors que la caméra de Sarah Miro Fischer filme, de face, une jeune femme qui marche à vive allure. La cinéaste entraîne le public aux côtés de Rose (Marie Bloching) qui débarque chez son frère Samuel (Anton Weil), encore endormi, qui invite sa sœur, sur le ton de la rigolade, à dormir sur le canapé à cause de ses ronflements. Les brefs échanges entre la sœur et le frère laisse percevoir la complicité et la tendresse qui les unit et ravivent immédiatement la relation étroite qu’ils entretiennent depuis qu’ils sont enfants. Lorsqu’ils se retrouvent au petit-déjeuner, Rose confie à Sam comment sa relation avec sa petite amie, qui l’a chassée de l’appartement, s’est terminée. À l’écoute attentive, Sam semble être un roc pour elle alors que la jeune femme apparaît en plein chaos et sans ancrage, en proie à un maelström émotionnel.
Cet équilibre relationnel apparent bascule lorsque Sam est accusé de viol par une autre femme, Elisa (Laura Balzer) et que Rose, qui dormait à moitié sur le canapé de la pièce voisine au moment de l’agression présumée, est appelée à témoigner. Cette comparution met à l’épreuve à la fois leur relation et l’intégrité morale de Rose.
Avec Schwesterherz, co-écrit avec Miro Fischer et Agnes Maagaard Petersen, Sarah Miro Fischer a placé la barre haut pour un premier long métrage, osant se confronter à des thématiques difficiles comme l’allégeance au sein d’une relation fraternelle intime et la difficulté à voir une personne telle qu’elle est car très proche, peut-être trop proche de soi. La jeune cinéaste questionne les événements susceptibles de détruire les liens les plus étroits et pousse le public à en faire de même.
Marie Bloching, qui tient le rôle principal, est souvent filmée au plus près du visage, du regard et illumine l’écran par son magnétisme mis en lumière par la cinématographie de Selma von Polheim Gravesen. Confrontée à ses doutes, Rose cherche des réponses, tout comme la caméra de Sarah Miro Fischer qui semble faire corps avec sa protagoniste. Le reste de la distribution est également excellent; la réalisatrice a apporté un soin particulier l’expression corporelle afin de de laisser jaillir un langage non verbal qui suggère plus que la parole. La caméra suit chaque membre du casting dans une chorégraphie organique où la physicalité des performances séduit le regard.
La cinéaste réussit à exprimer l’évolution psychologique et émotionnelle de sa protagoniste que l’on suit en plein questionnement, qui ne sait comment réagir, entraînée bien malgré elle dans l’affaire qui implique son frère. Malgré leur proximité, Rose se retrouve contrainte d’affronter une situation qu’elle n’aurait jamais pu imaginer, dans ses certitudes qui s’effondrent soudain. Le public la suit dans ses doutes existentiels alors que s’écroule tout ce qu’elle croyait solide et infaillible dans la relation fraternelle.
Avec subtilité, par touches successives, Sarah Miro Fischer la suit en filmant au plus près de ses émotions qui transpercent l’écran jusqu’à ce que Rose décide que faire. Le public comprend que sa décision est multiple : tout d’abord, celle d’une sœur, mais aussi celle d’une femme, et, par le contexte, celle de potentiel témoin auditif, des nuances que la cinéaste réussit à exprimer avec brio. Pour exprimer la fracture dans la relation entre frère et sœur, la cinéaste opte pour un changement significatif dans le cadrage. Au début, lorsque Rose débarque en pleine nuit dans l’appartement de son frère, dont elle a la clef, tous deux sont filmés très proches dans le cadre, leurs têtes se côtoyant, leurs jambes s’entrelaçant. Cette symbiose initiale s’estompera au fil du récit, de manière accrue dès l’accusation de viol.
Sarah Miro Fischer réussit son baptême cinématographique en soulignant la difficulté, voire l’impossibilité de parler librement des traumatismes qui touchent nos proches et qui nous touchent tout autant, déclenchant une avalanche de sentiments contradictoires.
On ressort de la projection de Schwesterherz troublés, assailli par de nombreuses questions sur les certitudes qui nourrissent le terreau de nos vies, sur les apparences trompeuses, sur les ramifications complexes des relations intrafamiliales qui se fissurent à la survenue d’un événement, sur les moyens d’affronter une situation ou de l’éviter, par déni ou par peur de la vérité.
Une cinéaste talentueuse à suivre !
Firouz Pillet
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