Cannes 2021 : Oranges sanguines de Jean-Christophe Meurisse, présenté en séance de minuit, laisse un goût amer
Le second long métrage de Jean-Christophe Meurisse, le fondateur de la compagnie des Chiens de Navarre, brosse une palette de l’humanité oscillant entre joie, partage et enthousiasme puis vire du côté obscure de certains humains enclins au sadisme et à la perversion.
Dans une écriture chorale, Oranges sanguines démarre tout en douceur durant un premier acte qui présente une galerie de portraits du genre humain : un ministre (Christophe Paou) de l’économie véreux qui a placé une coquette somme à l’étranger, un jeun avocat, Alexandre (Alexandre Steiger), qui couche avec une femme mais se fait ouvertement dragué par Thierry, ténor du barreau, qui lui conseille : «Il ne faut jamais être politiquement correct, il faut toujours être au bord de l’indécence !», Louise, une adolescente (Lilith Grasmug) qui appréhende sa première fois et qui tombe sur une gynécologue (Blanche Gardin) au franc-parler qui l’incite à admirer, lui tendant un miroir, la beauté de ses lèvres et de son clitoris car « cela ne reste pas aussi longtemps joli. Le petit triangle, le clitoris, qu’il faut stimuler pour produire de la cyprine pour que le rapport soit fluide, que cela coulisse bien. Je le dis toujours aux jeunes filles : on part à la chasse à l’escargot avant d’enfourner la quenelle et on ne coupe pas le persil avant que les escargots aient bavé partout. Il faut que ce soit baveux avant pénétration. Une première fois est toujours douloureuse, très désagréable, pleine de malentendus et extrêmement décevante. », un couple de retraités surendettés qui épée gagner un concours de danse pour éponger une partie de leurs dettes …
Tous les comédiens sont excellents et leur jeu est impeccable, précis et le public a l’impression que la bonne humeur qui laine de cette succession de saynètes va durer encore longtemps. Mais le miroir ne va pas tarder à se briser, à commencer par ce chauffeur de taxi qui ne transporte aucun client mais qui passe ses journées à invectiver puis à insulter les conducteurs, les cyclistes, montant rapidement dans l’indécence et la vulgarité.
Au même moment en France, le ministre des Finances soupçonné de fraude fiscale prend conseil auprès de son ami avocat et part au vert mais il fera une rencontre inquiétante avec un détraqué sexuel qui, tel un Fourniret, part à la chasse et va croiser chemin de la jeune adolescente. Une interminable nuit commence pour les victimes du psychopathe mais aussi pour les spectateurs.
À travers Oranges sanguines, Jean-Christophe Meurisse ose un tableau politique et satirique, abordant des sujets qui suscitent les débats comme l’évasion fiscale, les décisions arbitraires des politiciens – ministres qui pénalisent les concitoyens, comme les ministres qui lors d’une réunion proposent les études gratuites au mérite, l’endettement des classes moyenne. Le tableau ne pouvait pas rester délicat et idéalisé très longtemps et la seconde partie du film précipite le public dans la violence, l’horreur, la souffrance avec une image crue qui ne lésine pas sur le réalisme.
Mentionné plus haut, le détraqué (Fred Blin) croit maîtriser ses stratégies sadiques mais l’une de ses victimes lui donnera du fil à retordre (sans jeux de most faciles !), voire lui donnera une leçon sanglante. Pour écrire ce scénario, Jean-Christophe Meurisse s’est inspiré d’un fait divers survenu en 2015 aux États-Unis où une jeune fille s’est vengée de son violeur en lui faisant manger ses testicules après l’avoir torturé. Convaincu que la violence fait partie de notre quotidien, Jean-Christophe Meurisse a poussé l’audace en présentant une perversion extrême, sordide et que d’aucuns jugeront répugnante, voire abjecte.
Peut-être qu’Oranges sanguines se veut le miroir de notre société et en décrit la déchéance et l’effondrement, la perte de touts repères moraux et le manque de limites qui amènes tout à chacun à franchir des limites inavouables ? Jean-Christophe Meurisse sombre dans la noirceur et n’hésite à nous présenter des personnages dérangeants, malsains, monstrueux, pervers. Si Meurisse parvient à donner un écrin équilibré et peaufiné à ses pièces de théâtre, son second long métrage questionne sur l’orientation que le cinéaste prend. S’agit-il d’un moment d’expérimentation éphémère ou cette orientation va-t-elle se poursuivre ? La musique du générique de fin laisse suggérer la seconde affirmation en choisissant le rythme entraînant de It’s a wonderful world.
Après ce final qui atteint une catharsis dans le sadisme et la noirceur, on comprend aisément que le film de Jean-Christophe Meurisse ait été présenté en séance de minuit au Festival de Cannes 2021.
Âmes sensibles s’abstenir !
Firouz E. Pillet, Cannes
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