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Cannes 2023 : L’Amour et les Forêts, de Valérie Donzelli, présenté à Cannes Première, traite avec maestria le terrible sujet de l’emprise au sein d’un couple

Présenté à Cannes Première, L’Amour et les Forêts, de Valérie Donzelli, est l’adaptation du roman d’Eric Reinhardt, publié chez Gallimard en 2014 et qui a obtenu les prix Renaudot des lycéens et du roman France Télévisions en 2014.

— Melvil Poupaud et Virginie Efira – L’Amour et les Forêts
Image courtoisie Festival de Cannes

Quand Blanche (Virginie Efira) croise le chemin de Grégoire (Melvil Poupaud), elle pense rencontrer l’homme idéal qu’elle attend, celui qui est fait pour elle, pour la combler et l’aimer. Les liens qui les unissent se tissent rapidement et leur histoire se construit dans la fougue et l’emportement, à la grande surprise de sa jumelle Rose et de leur mère (Nathalie Richard). Soudain, Grégoire est muté en Lorraine à Metz. Le couple déménage, Blanche subit ce déménagement, s’éloignant de sa famille et de sa Normandie qu’elle adore. Commence alors une nouvelle vie pour le couple : Grégoire souhaite que Blanche s’occupe de leur fille, Stella et renonce à travailler. Mais, jour après jour, après un début de relation idyllique, un mariage et deux enfants, Blanche se retrouve progressivement isolée, enfermée dans une relation toxique dont elle n’ose jamais parler à ses collègues du lycée (Romane Bohringer et Marie Rivière, entre autres) où elle a décroché un remplacement et qui lui font remarquer que les appels incessants de son mari ne lui laissent aucun répit.

Blanche se retrouve sous l’emprise d’un homme possessif, impulsif, autoritaire, manipulateur et dangereux. Un homme qu’elle n’ose pas dénoncer par honte, par peur. Malgré ses tentatives de se soustraire du pouvoir de son époux – elle obtient ce poste d’enseignante vacataire dans un lycée à Nancy et sa jumelle lui laisse sa voiture afin de lui éviter les trajets en car – rien ne semble pouvoir arrêter Grégoire de contrôler et de diriger la vie de son épouse.

Pour son sixième long-métrage en tant que réalisatrice, Valérie Donzelli a choisi d’adapter le roman L’Amour et les Forêts d’Eric Reinhardt en co-écrivant le scénario avec Audrey Diwan (L’Événement, 2021) traitant de l’effroyable sujet du harcèlement conjugal et de l’emprise. Pour donner vie aux divers personnages, Valérie Donzelli a réuni une magnifique distribution, à commencer par les deux comédiens incarnant le couple – Melvil Poupaud et Virginie Efira – tous deux remarquablement convaincants au point que l’on oublie qu’il s’agit d’un film de fiction tant leur jeu est époustouflant de véracité. La sobriété du jeu de Dominique Reymond, qui interprète l’avocate de Blanche, que l’on voit par intermittence alors que le reste du récit remonte dans le temps, exprime énormément malgré des phrases concises, livrées avec parcimonie mais efficacité.

En plus d’incarner avec brio le rôle de Blanche dans le film de Valérie Donzelli, Virginie Efira interprète également sa jumelle, Rose. Cette relation gémellaire complice est une invention de la réalisatrice et n’existe pas dans le roman d’Eric Reinhardt.

À travers une fine observation psychologique, Valérie Donzelli et Audrey Diwan livrent un scénario qui souligne avec justesse les mécanismes d’une relation toxique dans laquelle le bourreau ferre le poisson : cette expression semble brutale, mais a le mérite de restituer de manière explicite les mécanismes de l’emprise. Avec pertinence et exactitude, le tandem de scénaristes révèle les étapes progressives de cette effroyable descente aux enfers.

Dans les premières scènes, Valérie Donzelli nous montre une femme solaire, lumineuse mais qui est toujours célibataire, contrairement à sa jumelle. Lors d’une soirée où Rose veut présenter à Blanche le prince charmant, survient Grégoire qui maîtrise si bien le langage, cite des classiques à cette professeure de français qu’est Blanche. Attentive à la culture que distille avec délicatesse Grégoire, Blanche ne peut rester insensible à cet ancien copain de lycée qui semble lui prodiguer beaucoup d’attention et une écoute quasiment religieuse. Le coup de foudre opère et leur relation s’emballe. Rapidement, Grégoire présente Blanche comme son épouse à ses amis, à ses collègues de travail et la met constamment sur un piédestal. Dans un premier temps, Blanche est flattée, rapidement séduite et fascinée, voire hypnotisée, par cet être qui paraît flotter au-dessus de la mêlée. Il est si différent…

Au fil des séquences, Grégoire dégaine l’arme absolue du pervers narcissique, s’affirmant comme le gendre idéal qui brille en toute circonstance en société et anesthésie par là-même la vigilance de Blanche tombée sous son charme et sa séduction bien rodée. Au-delà de sa capacité à se montrer sous son meilleur jour, Grégoire trouve toujours les bons mots et sait flatter Blanche en lui donnant l’impression d’être une personne unique et exceptionnelle, souvent en public. En effet, on a affaire à Dr Jekyll et Mr Hyde.

L’Amour et les Forêts de Valérie Donzelli
Image courtoisie Festival de Cannes

Puis, par touches progressives presque imperceptibles, le vent tourne. C’était pourtant une relation qui avait si harmonieusement commencé. Blanche ne comprend pas ce qui lui arrive : la personne si charmante, tellement intentionnée et à l’écoute de ses besoins, qu’elle avait trouvée en Grégoire semble s’être volatilisée.

Une fois mariée et loin de sa famille, Blanche voit les relations avec son mari tourner au cauchemar. Le comportement de celui qu’elle admirait et en qui elle avait une totale confiance a changé : il la critique constamment, la dénigre, rejette la faute sur Blanche, la culpabilisant de plus en plus et invoquant leurs deux enfants comme monnaie de chantage. D’ailleurs, la sexualité deviendra aussi monnaie de chantage. Mais quand Blanche souhaite discuter, Grégoire n’en a jamais le temps, excellant dans l’art de faire souffrir Blanche qui se sent de plus en plus isolée et dépendante de lui.

Or, qui est plus malléable qu’une personne coupée de tous ses liens sociaux ? Incarnant le parfait prédateur, Grégoire met tout en œuvre pour isoler sa victime par divers stratagèmes qu’il présente comme bénéfiques et salutaires. Blanche, choquée par ce qui lui arrive, est en état de sidération et ne trouve pas la force de réagir, étant à la complète merci de Grégoire.

Seule échappatoire pour Banche : une planche de salut qui viendra de l’extérieur et que l’on vous laissera découvrir en allant voir l’excellent film de Valérie Donzelli, magnifiquement interprété qui secoue, ébranle et ne laisse pas indemne.

Firouz E. Pillet, Cannes

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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