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Cannes 2024 : Oliver Stone et Rob Wilson proposent un captivant documentaire, Lula, présenté en Séance Spéciale, qui aborde sans détour les déboires judiciaires du président du Brésil et suit son retour au pouvoir

Lauréat de trois Oscars, le réalisateur de Platoon et JFK préfère désormais les films documentaires aux longs métrages. Après Castro et Chavez, le cinéaste américain et son acolyte Rob Wilson proposent un long métrage richement documenté et illustré, consacré au président brésilien, Luiz Inácio Lula da Silva.

Lula d’ Oliver Stone et Rob Wilson
Image courtoisie Festival de Cannes

En l’espace de cinq décennies, Oliver Stone a tourné plusieurs œuvres de fiction et documentaires liés à l’Amérique latine, à commencer par Salvador (1986), avec James Woods. Certaines de ses œuvres sont controversées, comme Comandante, documentaire sorti en 2003 sur Fidel Castro, auquel il en a consacré deux autres, en 2004 et 2012. En 2014, Stone a aussi réalisé My Friend Hugo, sur l’ancien président vénézuélien Hugo Chavez, produit par le diffuseur officiel vénézuélien Telesur, qui défend le régime chaviste. En relatant le parcours de Lula, il aborde La Marea rosa (marée rose), une vague politique qui suit le virage à gauche des gouvernements sud-américains. Le documentaire sur Lula sera l’occasion d’insérer des extraits des films consacrés à Castro, Chavez, mais aussi à Evo Morales. Liées aux termes post-néolibéralisme et socialisme, les nations de la marée rose cherchaient à défendre les productions de leurs pays afin qu’elles profitent à leurs peuples. Quoi de plus normal ! Mais cela déplaisait à leur grand voisin du nord. Le film souligne comment les représentations de ce mouvement, en pleine ascension dans les années 1990 et 2000, ont été éliminés de l’échiquier politique : Evo Morales, le premier indien élu, Cristina Kirchner, Michelle Bachelet, les deux premières femmes élues présidentes dérangeaient tout comme Lula dérange, premier ouvrier parvenu à la présidence.

Pour réaliser ce documentaire, Oliver Sone retrouve son complice Rob Wilson qui décrit leur travail commun ainsi :

« Je travaille avec Oliver depuis plus de vingt-cinq ans maintenant. J’ai produit tous ses documentaires depuis 2008 avec Untold History. Puis, nous nous sommes rendus récemment à Cannes avec JFK Revisited en 2021. »

Avec Lula, le tandem livre un portrait intime et évocateur de l’une des personnalités politiques les plus influentes et populaires au monde. Rappelant quelques jalons biographiques, le film entraîne le public dans l’État du Pernambuco, situé au centre est de la région Nordeste. Le documentaire nous fait voir une minuscule maison de terre, la maison familiale où Lula et sa fratrie, élevé par une mère pauvre est analphabète, ont vécu. Le père de famille, parti travailler à São Paulo, y fera venir sa famille en omettant d’avertir sa femme qu’il avait fondé une nouvelle famille. Ainsi, on verra aussi la maison familiale à São Bernardo do Campo, une ville du sud de l’État de São Paulo.

Dans ce portrait de Luiz Inácio « Lula » da Silva, les cinéastes alternent les séquences où l’on assiste à de riches conversations entre Lula et Oliver Stone avec des photographies de Lula ouvrier tourneur et syndicaliste et des extraits d’émissions télévisées sur les diverses campagnes électorales pour les élections présidentielles. Le tandem de cinéastes explore l’ascension, la chute et le retour triomphal au pouvoir d’un dirigeant hors norme après dix-neuf mois passés en prison. Sous forme de conversations entre le président du Brésil et le réalisateur de Wall Street (1987), le documentaire s’intéresse à la période récente de sa vie, entre 2016 et 2022.

À grand renfort de documents et d’archives filmées, le duo parle de la période où Lula a été jeté en prison pendant près de deux ans, et démontre, au fil des séquences, les manipulations en coulisse effectuées par le juge fédéral Sergio Moro au service du futur candidat Jair Bolsonaro qui, une fois élu, en fera son ministre de l’Économie.

Le film rappelle que, président du Brésil sur deux mandats de 2002 à 2010, Lula a été responsable d’une grande partie des progrès du pays. Ainsi le documentaire illustre l’action Bolsa Família (bourse familiale), un programme social destiné à lutter contre la pauvreté et mis en place pendant la présidence de Fernando Henrique Cardoso, puis systématisé sous la présidence Lula, et qui permettait aux familles pauvres de toucher des aides pour aider les mères de famille à nourrir et vêtir leurs enfants. Ces aides sont conditionnées à certaines obligations d’éducation pour les enfants.

Protégée de Lula depuis longtemps, on voit Dilma Rousseff, qui a été destituée dans le cadre d’une procédure très étrange. Lorsque la situation politique au Brésil est passée beaucoup plus à droite, Javier Bolsonaro a remporté la présidence en 2018. Mais le documentaire fait la brillante démonstration que, derrière les malheurs politiques, judiciaires et politiques de Lula comme de Dilma Rousseff, les États-Unis ne sont jamais très loin. Le film révèle les dessous de l’opération anticorruption « Lava Jato » (Lavage express), avec le concours du hacker et du journaliste d’investigation Luke Harding, auteur des Snowden Files dont les révélations ont conduit à la libération de Lula.

Le documentaire nous alerte du danger croissant que le lawfare, « l’instrumentalisation politique de la justice », fait peser sur nos démocraties.

Oliver Stone indique ce qui leur importait de souligner dans leur documentaire :

« Lula s’est retrouvé en prison à cause d’un coup monté. Il l’a prouvé dans le film, en affirmant qu’il avait été emprisonné suite à ce qu’on appelle en Amérique du Sud et dans d’autres pays, le « lawfare », instrumentalisation politique de la justice qui consiste à mettre quelqu’un derrière les barreaux à l’aide d’un grand nombre de lois orientées et motivées par des considérations politiques. »

Oliver Stone poursuit :

« Je pense que les poursuites judiciaires sont utilisées dans le monde entier pour des raisons politiques, comme un outil politique. Mais le monde entier est corrompu. La Russie fonctionne grâce à la corruption, comme la Turquie ou les États-Unis. »

Avec Rob Wilson, Oliver Stone offre à Lula un portrait brillant, exhaustif, qui rétablit certaines vérités bafouées. Aucune nécessité d’être politologue pour accéder facilement à ce film qui dit beaucoup en seulement nonante minutes : on ressort de la projection avec le sentiment de bien comprendre l’histoire de Lula, sa personnalité, son parcours.

Firouz E. Pillet, Cannes

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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