Cannes 2024 : When the Light Breaks (Ljósbrot), de Rúnar Rúnarsson, fait l’ouverture de la section Un Certain Regard et entraîne le public dans le difficile processus de deuil
When The Light Breaks (Ljósbrot), le quatrième long-métrage de Rúnar Rúnarsson, a l’honneur d’ouvrir Un Certain Regard, l’une des sélections parallèles du Festival de Cannes 2024 qui met en lumière le jeune cinéma en ébullition, un cinéma de recherche formelle et aux thématiques contemporaines, très universaliste, et en provenance du monde entier.
Quand la lumière se lève sur une longue journée d’été à Reykjavik, en Islande, un jeune couple se câline et s’embrasse sans se douter que ce sera la plus longue journée estivale islandaise. D’un coucher de soleil à l’autre, de la séquence d’ouverture à celle de fin, Una (Elín Hall), une jeune étudiante en art, bi et pan, retrouve Diddi (Baldur Einarsson), son nouvel amoureux. Una vit intensément cet amour naissant en contemplant le lever de soleil sur la baie emplie de teintes mordorées qui rappellent les tableaux de soleil de Turner. Cette même journée, alors qu’Una et Diddi se promettent un amour éternel, le jeune homme doit affronter sa copine officielle pour rompre. Una, à l’allure androgyne et aux cheveux blond vénitien, savoure son bonheur, déambulant dans les rues de Reykjavik puis avec ses amis de la faculté. L’architecture de la capitale islandaise, en particulier la cathédrale Hallgrímskirkja, permet à Rúnar Rúnarsson de filmer des plans picturaux qui s’intègrent à son scénario.
Le cinéaste souligne qu’il a puisé dans son propre vécu pour écrire cette histoire :
« Tout ce que j’écris est basé sur mes expériences directes ou indirectes, que je mélange ensuite à la fiction. J’avais aussi un casting incroyable, ce qui est probablement l’une des premières choses qu’il faut avoir. Il y a beaucoup de talents en Islande, mais nous voulions la crème de la crème. Il était crucial de trouver les bonnes personnes pour incarner ces personnages et en faire des êtres humains. »
Soudain, alors qu’Una vit le tourbillon des premiers émois, son ami Gunni lui annonce qu’un dramatique accident a eu lieu dans un tunnel et que les autorités parlent de plusieurs morts. Entre deux sanglots, il lui révèle qu’il a prêté sa voiture à Diddi. Cette même journée, Una vit de plein fouet l’amitié et le soutien, mais aussi le drame, le chagrin et le deuil. Una comprend alors que pendant ce voyage vers sa rupture avec Klara (Katla Njálsdóttir), ce grave accident signe la mort de Diddi. Le cinéaste s’exprime sur le jeu tout en subtilité et en nuances de son actrice principale :
« Notre actrice principale, Elín Hall, est capable de transmettre une grande palette d’émotions avec des changements d’expression à peine perceptibles. Elle a su incarner la force et la tendresse que je recherchais, et sa capacité à montrer plutôt qu’à dire a fourni l’essence du personnage d’Una. La capacité à transmettre les non-dits est tout aussi forte chez Katla Njálsdóttir et Mikael Kaaber, les acteurs qui soutiennent Una. Ensemble, ils forment le noyau d’intensité qui propulse le récit sans trop de dialogues. »
Il est difficile de faire le deuil d’un proche, encore plus quand la nature de notre relation avec cette personne est inconnue des autres. Ainsi, Una se retrouve « veuve » d’un amour dont personne ne connaissait l’existence, même son ami proche Gunni (Mikael Kaaber) lui parle de son propre chagrin sans soupçonner celui d’Una, lui vantant le couple parfait que Diddi et Klara formaient. Un exemple de bonheur apparent que les autres amis de la faculté portent aux nues tout au long de cette journée de deuil qui règne sur toute l’Islande. Alors que le groupe d’amis se rend à une cellule de soutien aux proches des victimes, Una doit cacher sa peine. Le père d’Una vient la chercher pour lui apporter son réconfort en partageant un hot-dog et une boisson, mais, devant le chagrin de sa fille, il s’y prend maladroitement en la questionnant sur son choix de fumer. Cet échange père-fille, comme tous les dialogues des personnages, dénote le sens du dialogue de Rúnarsson, son attention aux êtres, avec cette très belle scène de complicité entre Una et son père qui finit par trouver les mots justes.
Né à Reykjavik en Islande, Rúnar Rúnarsson a vécu au Danemark pendant sept ans et est diplômé de l’école de cinéma danoise en 2009. Le cinéaste est retourné en Islande pour réaliser Volcano, son premier long métrage. Nominé pour un Oscar en 2006, pour la Palme d’Or à Cannes en 2008 et aux European Film Awards en 2008, Rúnar Rúnarsson est probablement le réalisateur de courts métrages le plus récompensé au monde avec nonante prix internationaux à son actif pour ses trois derniers films.
Avec When the Light Breaks, le cinéaste islandais livre un film empli d’une palette de tonalités visuelles, picturales tout comme émotionnelles. Sans fioriture, avec efficacité, pudeur et avec une grande sensibilité, il décrit le cheminement psychologique éprouvant d’une jeune femme vers un deuil difficile à faire car gardé pour elle. Fin et délicat !
Firouz E. Pillet, Cannes
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