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Captives, d’Arnaud des Pallières, dépeint l’univers abominable des asiles et les terribles conditions de vie des patientes. Rencontre

Le huitième long métrage d’Arnaud des Pallières entraîne le public à Paris, en 1894, aux côtés de Fanni (Mélanie Thierry), une jeune femme qui se fait volontairement interner pour folie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Dans cet asile où se côtoient des prostituées, des filles mères, des femmes des milieux défavorisés, des internées pour hystérie selon le diagnostic du célèbre Pr. Charcot, mais aussi des bourgeoises qui, n’étant ni mariées et n’ayant pas d’enfants, n’entrent pas dans les carcans de la bienséance.

— Mélanie Thierry et Yolande Moreau – Captives
© Cécile Burban Prélude

L’avenante Fanni affiche des mains bien blanches et bien dénuées des marques d’un labeur harassant. Qui est cette femme dont le passé semble empli de mystère ? Cherchant sa mère (Yolande Moreau) parmi la multitude des femmes convaincues de « folie », Fanni découvre une réalité de l’asile toute autre que ce qu’elle imaginait, ainsi que l’amitié inattendue et la sororité de compagnes d’infortune. Parmi cette galerie de portraits figurent des femmes qui dérangent la bonne société, internées officiellement pour folie, mais officieusement, des motifs bassement matériels : vengeance, appropriation d’héritage, femmes engrossées par des nobles ou peut-être par des curés… Les religieuses ne sont jamais très éloignées pour récupérer les nouveaux-nés afin de les confier à Dieu en les baptisant.

Le dernier grand bal de la Salpêtrière se prépare : une femme de la haute société, Hersilie (Carole Bouquet), apprend aux femmes à danser le quadrille. Joie et bonne humeur sont au rendez-vous pour ces femmes malgré la discipline de fer et les « soins » particulièrement violents que leur administrent Marguerite Bottard, la chef infirmière dite Bobotte (Josiane Balasko) et sa seconde, La Douane (Marina Foïs). Le Pr. Charcot se plaît à convier le beau monde parisien à son bal des folles où il exhibe ses « bêtes » : politiciens, artistes, mondains s’y bousculent.

Sept ans après Orpheline, le cinéaste Arnaud des Pallières revient avec Captives et poursuit son exploration des portraits de l’humanité. Pour ce faire, il a sollicité une distribution exclusivement féminine, s’inspirant de la véritable histoire du Bal des folles. Le sujet a déjà donné lieu à un premier roman à succès de Victoria Mas et à un film de Mélanie Laurent qui, contrairement à Captives, est une adaptation directe du livre.

Sensible à la fresque humaine et fort de son expérience comme documentariste, Arnaud des Pallières se penche avec Captives sur le quotidien de ces femmes pauvres enfermées à la Salpêtrière, selon des critères qui relèveraient aujourd’hui de l’arbitraire le plus pur, mais tout à fait normaux à l’époque. Le film met en relief cette fin du XIXe siècle à Paris, où l’on aimait s’encanailler dans les bouges à petites frappes, visiter en famille les indigènes des colonies parqués dans des « zoos humains » ou y voir aussi des êtres exhibés pour leur particularité physique telles les femmes à barbe, entre autres.

Le film d’Arnaud des Pallières se situe à un moment de bascule alors que de jeunes médecins progressistes décident de mettre fin à ce bal et annonce un changement des mentalités à l’aurore du XXe siècle. Le cinéaste a choisi que ses actrices apparaissent le plus naturel possible, sans aucun maquillage, les filmant au plus près des visages et des regards.

Plongeant en immersion complète le public qui côtoie ces pensionnaires, le cinéaste a opté pour une mise en scène qui multiplie les cadrages très serrés, accumulant les gros plans filmés caméra à l’épaule, les zooms, puis un soudain écart de cadrage. Le résultat sème la confusion, voire une sensation de vertige, peut-être afin que le public soit en symbiose avec les protagonistes, du moins en empathie… Hors microphone, le cinéaste a apprécié que l’on souligne la picturalité de son film qui nous rappelle, à son plus grand bonheur, des tableaux de Goya ou de Velázquez. Cependant, le cinéaste a eu la sagesse d’éviter un trop grand classicisme qui a souvent tendance à être de mise dans les films d’époque et en costumes.

Captives a le mérite immense de donner une visibilité à des existences meurtries, ignorées par la plupart des personnes, des femmes que le professeur Charcot utilisait pour ses nombreuses expérimentations en pratiquant des hypnoses ou des stimulations électriques en public. Rencontre avec Arnaud des Pallières:

 

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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