Dans son nouveau film, Second tour, Albert Dupontel se frotte au monde politique pour en épingler les travers
Journaliste politique en disgrâce placardisée à la rubrique football, Mademoiselle Pove (Cécile de France, toujours aussi pétillante) — dont le patronyme provient de l’acronyme POV, Point of view — en binôme avec son fidèle et dévoué caméraman Gus, (Nicolas Marié) est sollicitée pour suivre l’entre-deux tours de la campagne présidentielle. Les deux comédiens forment un binôme complémentaire, Nicolas Marié joue l’auguste incarnant un personnage savoureux servi par l’expressivité innée du comédien, et Cécile de France interprète le clown blanc et réalise ici un immense travail sur son énergie, sur sa voix et sur son corps.
Le candidat favori de cette campagne est Pierre-Henry Mercier (Albert Dupontel), héritier d’une puissante famille française et novice en politique. Troublée par ce candidat qu’elle a connu moins lisse, Mademoiselle Pove se lance dans une enquête aussi étonnante que jubilatoire qui va donner un nouveau souffle à sa carrière.
D’après les confidences du réalisateur Albert Dupontel, Second tour trouve son origine dans le documentaire intitulée Bobby Kennedy for President (2018), de Dawn Porter, centré sur la campagne de Robert Kennedy en 1968 et sa terrible issue. Son discours à Indianapolis, dans lequel il annonce la mort de Martin Luther King, a ému et impressionné Albert Dupontel qui a été fasciné par la force d’une parole politique improvisée, un cas de figure qu’il reproduit dans son film grâce à la complicité d’un jumeau providentiel.
Mais c’est surtout la sincérité de Robert Kennedy, ses véritables intentions politiques et sociales, qui l’ont condamné, et il le pressentait, mais il a poursuivi son chemin de manière identique, malgré des menaces croissantes qui pesaient sur lui. C’est cette détermination qui a inspiré au cinéaste le personnage imaginaire de Pierre-Henry Mercier, politicien en campagne.
Trois ans après Adieu les cons qui lui a valu sept César, Albert Dupontel revient sur les grands écrans avec Second tour, son huitième long métrage, dans lequel il décortique les rouages de la politique et des médias pendant une campagne pour les élections présidentielles. Si un tel thème a déjà été traité au cinéma, dont récemment Présidents (2021) d’Anne Fontaine qui nous propulsait dans les rencontres officieuses entre candidats, Albert Dupontel cherche ici à dénoncer les collusions entre politiciens, lobbys et médias étatiques.
Comme à son habitude, Albert Dupontel est à la fois devant (doublement !) et derrière la caméra, mais sa présence est nettement moins envahissante que d’ordinaire puisqu’il fait, fort heureusement, la part belle à Cécile de France. Le cinéaste-comédien songeait initialement à Sandrine Kiberlain (on se souvient du laborieux 9 mois ferme, sorti en 2013 !) pour incarner Mademoiselle Pove et a finalement choisi Cécile de France : un second choix très appréciable qui apporte une fraîcheur et une énergie au film grâce à l’interprétation très convaincante de l’actrice en tant que journaliste d’investigation, un personnage auquel Cécile de France donne avec brio un subtil piquant de cérébralité, pugnacité et véracité. Celle-ci a toujours une longueur d’avance grâce aux informations que lui fournit un hacker gluant (Philippe Duquesne), un geek aux propositions insistantes à l’intention de la jeune femme.
Pour nous donner l’impression de suivre une réelle campagne, le réalisateur joue avec la lumière, les mouvements de caméra, en variant les focales dans une même scène, le tout monté dans un enchaînement digne des reportages télévisuels grâce au travail du monteur attitré de réalisateur, Christophe Pinel et de son assistant Carlos Pinto.
Albert Dupontel s’indigne toujours devant les injustices, que ce soit dans le fonctionnement de la justice et de ses rouages, vis-à-vis du consumérisme actuel, ou, comme ici, face à la politique. Si les valeurs d’amour et d’amitié sont encore explorées ici par Albert Dupontel, elles demeurent au second plan et le récit se consacre essentiellement au monde de la politique et de ses enjeux. L’interprétation d’Albert Dupontel est à souligner, en particulier sa capacité physique très convaincante dans le mimétisme des attitudes et des mimiques des politiciens. Grâce à l’enquête menée par Mademoiselle Pove, Albert Dupontel élabore progressivement les liens qui se tissent, telle une toile d’araignée, entre la politique et son inféodation aux lobbys et aux médias d’envergure. Avec réalisme et son cynisme coutumier, Albert Dupontel ose de multiples références, à la fois jubilatoires, et parfois insolentes, à l’actualité. Diverses digressions insolites, sous forme de flashbacks, parfois loufoques, ponctuent le récit de révélations surprenantes qui surviennent toujours à point nommé.
Dans le générique d’ouverture de Second tour, Albert Dupontel dédie le film à Bertrand Tavernier, à Jean-Paul Belmondo et à Michel Deville pour rendre hommage à trois légendes du septième art qui l’ont influencé dans son métier, en tant qu’acteur comme en tant que réalisateur.
Firouz E. Pillet
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