Dans son premier long-métrage Si seulement je pouvais hiberner (If Only I Could Hibernate), la réalisatrice mongole Zoljargal Purevdash se penche sur les conditions de vie difficiles dans le district des yourtes d’Oulan Bator
Présenté dans la section Un certain regard au dernier Festival de Cannes, Si seulement je pouvais hiberner, de Zoljargal Purevdash, présente une fresque sociale poignante que ce titre intrigant ne laisse pas soupçonner.
Ulzii (Battsooj Uurtsaikh), un adolescent pauvre mais fier, vit avec sa fratrie et leur mère dans le district des yourtes d’Oulan-Bator, un quartier défavorisé. Ulzii est un génie en physique et, encouragé et soutenu par son professeur, il est déterminé à remporter un concours scientifique pour obtenir une bourse afin de poursuivre ses études à l’étranger. Sa mère (Ganchimeg Sandagdorj), analphabète, peine à faire vivre ses enfants depuis la mort de son mari. Lorsqu’elle trouve un emploi à la campagne, elle laisse Ulzii s’occuper de ses jeunes frères et sœurs. L’adolescent tente de poursuivre l’école tout en prenant soin de sa fratrie. Les enfants, livrés à eux-mêmes, vont devoir affronter le rude hiver mongol. Adolescent empli d’énergie et d’initiative, Ulzii a foi en la possibilité d’un avenir meilleur et finit par accepter un travail risqué pour s’occuper d’eux afin de pouvoir acheter du charbon pour tempérer la yourte.
Zoljargal Purevdash livre un portrait inattendu d’Oulan-Bator en posant sa caméra dans un quartier particulièrement pauvre de la capitale mongole, l’une des villes les plus polluées au monde. Dans ce quartier appelé « district des yourtes », la plupart des habitants y sont venus de la campagne pour trouver du travail en ville. On cerne alors une première thématique abordée dans le film: l’exode rural sur fond de crise économique.
Au fil du récit, le district prend forme, représenté par des acteurs tous débutants très convaincants. La caméra de Zoljargal Purevdash dévoile le difficile quotidien des enfants et nous fait prendre conscience d’une triste réalité insoupçonnée : les habitants qui vivent dans le district des yourtes n’ont pas accès ni à un système de chauffage ni à une infrastructure de services que l’on peut escompter en ville comme l’électricité ou l’eau courante. La seule énergie pour cuisiner et chauffer les yourtes est le charbon. En regardant Si seulement je pouvais hiberner, on songe à la première grande manifestation contre la pollution de l’air qui eut lieu en 2016, relayée par les réseaux sociaux qui étaient devenus un creuset empli de messages et de commentaires haineux envers les habitants du district de yourtes.
Face à cette avalanche de haine, Zoljargal Purevdash s’insurge contre les personnes qui accusent les pauvres et les tiennent pour uniques responsables de la pollution. Comme la cinéaste l’a expliqué au dernier Festival de Cannes, elle a tenu à rendre justice à sa communauté. Il faut souligner que la réalisatrice est tout particulièrement légitime pour consacrer un film au district des yourtes car elle parle de ce qu’elle connaît bien, sa mère et elle ayant emménagé dans le district, un quartier auquel la cinéaste est très attachée et où elle vit toujours. Comme Zoljargal Purevdash l’a mentionné à Cannes:
« Je voulais soutenir ma contre les gens qui accusent les pauvres. J’ai grandi dans ce district et je sais que personne ne brûle du charbon pour empoisonner l’autre côté de la ville. Ce que nous respirons n’est pas de la fumée, c’est de la pauvreté. Je suis surprise que beaucoup de gens dans notre ville ne le comprennent pas et souhaitent simplement que nous disparaissions au lieu de revendiquer des solutions telles que des panneaux solaires ou une nouvelle usine de production d’énergie. Nous vivons dans la même ville, la pollution est le problème de tous. »
Ayant regardé de nombreux films dans sa jeunesse, la cinéaste a pris conscience du pouvoir du cinéma et de sa capacité à changer les gens. Zoljargal Purevdash a pu obtenir une bourse pour étudier la réalisation au Japon.
Si, dans le film, c’est Ulzii qui prend en charge ses frères et sœurs, acceptant un travail et renonçant à ses études, le travail qu’il accepte n’est pas anodin et traite d’une autre thématique importante : Ulzii se retrouve à couper illégalement des arbres dans une forte protégée. Zoljargal Purevdash aborde aussi le thème de la déforestation et de l’exploitation des ressources naturelles, une terrible situation que viennent alimenter les plus pauvres n’ayant pas d’autre possibilité pour survivre.
Dans une séquence suivante, Ulzii surprend sa petite sœur, en pleine rue, en train de vendre des bracelets qu’elle a confectionnés alors qu’elle devrait être à l’école. Ulzii lui demande d’immédiatement retourner à l’école, mais sa petite sœur insiste pour pouvoir l’aider. Avec cette scène d’une fillette travaillant comme vendeuse de rue, ce qui ne semble pas choquer les passants, le public réalise d’une part la parentalisation des enfants et d’autre spart, que toute une génération doit travailler pour soutenir la famille et estime donc normal que tous les enfants d’une fratrie, dès un très jeune âge, travaillent. Zoljargal Purevdash développe ainsi cette thématique qui explique le sinistre cercle vicieux dans lequel se retrouvent les couches les plus pauvres de la population mongole : de jeunes hommes mongols qui n’ont pas de reçu d’instruction et qui n’ont pas de compétences finissent frappés de pauvreté. À travers l’image du professeur de lycée d’Ulzii qui s’inquiète de ne plus le voir en cours et vient le chercher sur le lieu de braconnage d’arbres, Zoljargal Purevdash souligne l’importance de l’éducation pour toutes et tous, l’unique voie qui peut mener les plus pauvres à l’émancipation et à l’autonomie économique.
Indubitablement, Si seulement je pouvais hiberner est très intéressant par le prisme des diverses thématiques que le film aborde : l’exode rural, la paupérisation des villes, la parentalisation des enfants, la carence d’éducation, la déforestation, le braconnage, la pollution.
Seul bémol qui empêche une complète appréciation du film : la photographie est terne malgré le soleil qui surplombe Oulan-Bator et la qualité du son est mauvaise, voire parfois médiocre. Mais quand Zoljargal Purevdash explique qu’elle n’avait que peu de moyens et qu’elle a dû tout faire elle-même, on lui pardonne ces défauts.
Firouz E. Pillet
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