Drive My Car (Doraibu mai kâ) de Ryusuke Hamaguchi – Un moment de pure magie qui transforme l’expérience cinématographique en une œuvre d’art
L’année 2021 a souri au réalisateur japonais Ryusuke Hamaguchi qui a présenté coup sur coup un film en compétition aux deux festivals majeurs que sont la Berlinale et Cannes où il a décroché en mars l’Ours d’argent – Grand Prix du jury pour La roue de la fortune et de la fantaisie (Wheel of Fortune and Fantasy [Guzen to sozo]) et en juillet le Prix du scénario et Prix de la critique (FIPRESCI) pour Drive My Car (Doraibu mai kâ), adapté d’une nouvelle d’Haruki Murakami, extraite du recueil Des Hommes sans femmes.
Yusuke Kafuku (Hidetoshi Nishijima) est un acteur et metteur en scène de renom avec une méthode de travail propre et une vision artistique expérimentale ; sa spécificité : mettre en scène des acteurs et actrices parlant des langues différentes dans une production qui sera surtitrée à la représentation. Il met en scène et joue En attendant Godot de Beckett, parallèlement, il se prépare à jouer le rôle principal dans Oncle Vanya de Tchekhov. Il travaille son rôle dans sa Saab 900 turbo rouge – reconnaissable entre 1000 dans les prises de vue large de la circulation uniformisée – grâce à une cassette sur laquelle la voix de sa femme Oto (Reika Kirishima), écrivaine et scénariste à succès pour la télévision, est enregistrée. Il entretient avec Oto une relation particulière, mêlant création et érotisme. Un drame va bouleverser ce fragile équilibre, à la suite duquel Yusuke va renoncer à jouer Oncle Vania mais accepter de le mettre en scène pour le festival du théâtre de Hiroshima. Interdit par la direction du festival de conduire sa propre voiture, il doit se résigner à ce que sa voiture soit conduite par une jeune chauffeure, Misaki (Tôko Miura). Après avoir fait ses preuves, Misaki va commencer à intriguer Yusuke et, au fil des trajets, une pudique relation filiale et réparatrice va se développer. Yusuke, en acceptant de passer le volant à Misaki, entame un processus de lâcher prise qui offre une ouverture à Misaki, enfermée dans sa jeune vie tragique.
Le film dure trois heures et pourtant on ne s’y ennuie jamais, toujours en mouvement que nous sommes dans les conversations et les répétitions de théâtre qui se suivent et se font écho. Dans une constellation quasi oxymorique entre le huis clos et le mouvement de pendulaire de la voiture, Ryusuke Hamaguchi articule les fines strates existentielles qui régissent les relations aux autres, de la vie à la mort, ainsi que les stratégies échappatoires qui permettent de ne pas sombrer quand les âmes et les corps sont près d’étouffer.
Drive My Car est moment de pure magie qui transforme l’expérience cinématographique en une œuvre d’art. Une construction narrative sans faille, une histoire complexe et subtile, une réflexion sur le langage – qui ne se réduit pas à la parole – dont les silences en disent autant que les mots, une photographie qui joue avec les espaces, une mise en abîme théâtre/cinéma qui ne souffre d’aucune artificialité.
Sur les écrans suisses romands et alémaniques.
De Ryusuke Hamaguchi; avec Hidetoshi Nishijima, Tôko Miura, Masaki Osada, Reika Kirishima, Park Yurim, Jin Daeyeon; Japon; 2021; 179 minutes.
Malik Berkati
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