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Cannes 2023 : Le film Anatomie d’une Chute, de Justine Triet, en compétition, propose un film à suspense qui imbrique les pistes comme les pièces d’un puzzle

Après La Bataille de Solférino (2013), Victoria (2016) et Sybil (2019), Justine Triet signe son quatrième long-métrage en mettant en scène un film fleuve, tenu par un suspense à strates multiples, sur un couple et la judiciarisation de leur sphère privée intime.

Anatomie d’une Chute de Justine Triet
Image courtoisie Festival de Cannes

Anatomie d’une chute entraîne le public dans l’autopsie d’un drame mystérieux qui met en vedette Sandra Hüller, Swann Arlaud et Milo Machado Graner et qui suit l’histoire d’une famille confrontée à une mort suspecte du père de famille, Samuel (Samuel Theis), et aux questions qui s’ensuivent.

Dès les premières séquences, la caméra de Justine Triet suit Daniel, le fils de la famille, qui marche sur un chemin étroit et enneigé qui longe un ravin puis travers un étroit pont. Le titre parle de chute, le public angoisse puisque Daniel est accompagné d’un chien-guide.

Mais rapidement, l’intrigue se concentre sur la mort mystérieuse de Samuel, retrouvé dans une marre de sang, étendu dans la neige au pied du chalet isolé dans les Alpes au-dessus de Grenoble où il vivait avec sa femme Sandra (Sandra Hüller), écrivaine allemande, et leur fils malvoyant de onze ans (le très convaincant Milo Machado Graner). L’enquête conclut à une mort suspecte, laissant planer le doute sur un suicide ou un homicide. Dans ce contexte, Sandra et Daniel sont confrontés aux reconstitutions et à un procès qui dissèque le couple et la vie familiale. Mais un ami avocat (Swann Arlaud, parfait), est venu soutenir et défendre Sandra qui en a d’autant plus besoin qu’elle est la principale accusée; elle doit s’exprimer en français alors qu’elle a donné ses premières réponses en anglais et elle doit affronter le vindicatif avocat général (Antoine Reinartz, tellement redoutable dans son rôle qu’on en oublie qu’il s’agit d’un acteur !).

Anatomie d’une chute crée une intense atmosphère, tendue, décortiquant tous les possibilités qu’envisage la justice qui semble avoir un a priori dès le départ. Justine Triet mêle avec subtilité drame, mystère et émotion dans cette enquête policière et judiciaire magnifiquement incarnée par les performances de tous les comédiens, Sandra Hüller et Swann Arlauden en premier lieu. La réalisatrice cherche à analyser ce qui se passe, comment la vie quotidienne bascule et vire au cauchemar alors que la sphère privée de Sandra et Daniel est soudain propulsée sur le devant de la scène et devient brutalement l’affaire de la société. Justine Triet mentionne ses intentions sur la genèse de ce quatrième long métrage :

« Je souhaitais refaire un film sur la relation homme/femme et décrire cette fois la chute d’un couple. Raconter la chute d’un corps, de façon technique, et m’y intéresser autant qu’à la chute d’une histoire d’amour. J’ai donc imaginé un petit garçon qui découvre l’histoire de ses parents dans un procès qui dissèque méthodiquement l’histoire de ce couple. »

Recourant donc au procès pour questionner la vie de ce couple par le prisme de la relation homme/femme, Justine Triet fait montre d’une grande précision dans la restitution de la machine judiciaire grâce à l’éclairage de Vincent Courcelles Labrousse, un ami avocat pénaliste, qui a beaucoup aidé l’équipe du film à reconstituer la véracité des éléments afin de valider ce qui était compatible avec la réalité. Mais la cinéaste a laissé une certaine marge de liberté à ses comédien.nes en leur permettant de surjouer afin d’éviter la solennité que l’on trouve souvent dans la représentation de la justice.

Disséquant le couple et ses modes – ou ses modalités – de fonctionnement, et de dysfonctionnement, sur le partage du temps, Justine Triet fait la part belle au rôle de l’enfant qui est placé au centre de ce partage dans des enjeux que les spectateurs ne soupçonnent pas au début du film. Tout au long du récit, la cinéaste s’interroge sur ce qu’on se doit dans un couple et ce qu’on se donne réellement, interrogeant par ce biais le public sur l’existence d’une réciprocité réelle ou bancale. Justine Triet précise à propos de ces thématiques :

« Ce sont des questions qui me travaillaient et qui n’avaient pas beaucoup été abordées au cinéma. Ici, les rôles sont inversés : je montre une femme qui, en assumant totalement sa liberté et sa volonté, crée une liberté et sa volonté, crée un déséquilibre. L’égalité dans le couple est une utopie magnifique mais très difficile à obtenir. »

Dans une constante recherche formelle, en particulier dans les reconstitutions des audiences au tribunal et lors des témoignages, Justine Triet cherche à immerger son public au cœur des investigations mais aussi dans l’intimité des personnages. Avouons que ces longues scènes très bavardes ont beaucoup amusé le public français (mais pas forcément le public francophone) et les autres journalistes présents, dont de nombreux anglophones, ont quitté la salle en cours de projection.

— Sandra Hüller – Anatomie d’une Chute
Image courtoisie Festival de Cannes

Soulignons que Anatomie d’une chute est porté par Sandra Hüller avec laquelle Justine avait déjà travaillé dans Sybil (2019) et qui a écrit ce rôle pour l’actrice. Sandra Hüller est parvenue à ancrer le moindre mot que prononce Sandra dans une réalité qui passe par sa voix, par son regard et par son corps. Dans de nombreuses scènes, et en toute logique familiale, la mère de famille donne la réplique à son fils merveilleusement incarné par Milo Machado Graner, qui offre une maturité exceptionnelle à ce jeune garçon malvoyant témoin du drame, un personnage qui possède également une place centrale dans le récit. Le jeune acteur réussit à faire ressentit l’état d’incertitude que Daniel éprouve au fil des audiences, se questionnant progressivement sur la culpabilité de sa mère.

Donnant souvent une impression de documentaire, Anatomie d’une chute possède un au grain très véridique rendu possible grâce aux optiques anciennes proposées par le chef opérateur, Simon Beaufils.

Le film distille une esthétique colorée et rugueuse représentative des états émotionnels des personnages. Seul reproche : Anatomie d’une chute est un film long qui aurait gagné à captiver le public en perdant une bonne demi-heure !

Firouz E. Pillet, Cannes

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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