Druk (Drunk ; Another Round) de Thomas Vinterberg – Une ode à la vie !
Prix du cinéma européen du meilleur film, BAFTA du meilleur film étranger, Oscar du meilleur film international, César du meilleur film étranger, le dernier film du cinéaste danois Thomas Vinterberg labellisé Sélection officielle 2020 a séduit les professionnels comme les spectateurs qui ont eu la chance de le voir avant les fermetures des cinémas dans le monde pour cause de pandémie. À présent que les mesures s’assouplissent un peu partout, le film sort ou ressort… et il serait dommage de ne pas en profiter sur grand écran, ne serait-ce que pour la scène finale qui nous plonge dans un tourbillon d’émotions cathartiques, dessine sur tous les visages masqués un sourire éclatant et nous fait regretter de devoir quitter nos sièges !
À priori, ce n’est pas la morale qui est célébrée dans Druk (Drunk ; Another Round… ce film est bourré de titres convergents mais différents) mais l’ivresse de la vie qui, ici, passe, dans un camouflage philosophique et scientifique, par l’ivresse tout court, certes contrôlée, mais qui contrôle vraiment ses failles qui se remplissent artificiellement pour donner l’illusion de la plénitude ?
Thomas Vinterberg nous entraîne dans une expérience fascinante à laquelle on est en peine de raisonnablement adhérer tout en étant heureux de participer par procuration. Quatre amis décident de mettre en pratique la théorie d’un psychiatre et philosophe norvégien, selon laquelle l’homme aurait dès la naissance un déficit d’alcool dans le sang. Finn Skårderud existe vraiment mais, depuis le succès du film et sa mise en lumière, il réfute avoir élaboré cette théorie qui serait le fruit d’une mauvaise lecture d’un de ses textes. Quoiqu’il en soi, nos quatre amis, professeurs de lycée, installés dans une vie plan-plan, faite de routines, d’habitudes, entrant sans s’en rendre compte dans la crise du milieu de vie, y voient un moyen de reprendre corps avec l’existence. Ils décident de suivre, avec rigueur, un protocole de prise d’alcool quotidienne qu’ils doivent maintenir à 0,5 gramme ; ils prévoient de rendre public les résultats de cette expérience scientifique, puisque « on ne boit que pendant les heures de travail », à l’exemple d’Hemingway, et que ce taux d’alcoolémie est calculé pour optimiser les relations sociaux-professionnelles. Avec l’existentialiste Sören Kierkegaard comme caution de l’être humain symbiose du corps et de l’âme, l’hypothèse de la perte de contrôle pour se retrouver soi-même est posée.
Chacun relève le défi et effectivement, dans un premier temps, les résultats sont encourageants, particulièrement pour Martin (Mads Mikkelsen, magistral), qui a perdu confiance en lui, s’est perdu de vue et s’en rend compte dans l’attitude de ses élèves, dans les regards et les silences des autres, sa femme compris. Désabusé, il exprime à ses élèves qui ont tout l’avenir devant eux : « le monde n’est pas comme on l’imagine. » Avec ses potes, il retrouve ce qu’il était, il avait rétréci, il se redéploye. Bien évidemment, la situation va rapidement devenir hors de contrôle. Une béquille quand on en a besoin, pour se rééquilibrer un peu, oser à nouveau, se désinhiber juste ce qu’il faut, c’est une idée tentante, mais quand la béquille devient l’élément nécessaire à la marche, on ne peut que finir par déraper.
Comme à son habitude, le réalisateur danois met à jour les cicatrices humaines, que ce soit celles de ses protagonistes, des spectateurs et (surtout) les siennes, avec une finesse de mise en scène et de narration subjectives (le film est écrit avec Tobias Lindholm qui était également coscénariste sur Kollektivet [The Commune], 2016) qui atteint ici des sommets, le tout magnifié par la photographie de Sturla Brandth Grøvlen. Et bien sûr, Mads Mikkelsen (Prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes pour Jagten [La Chasse] en 2012) en double du réalisateur prend une stature encore plus puissante et émouvante quand l’on sait que Thomas Vinterberg a perdu pendant le tournage sa fille de 19 ans, Ida, victime d’un accident de voiture. Le film lui est dédié.
Druk est déconcertant, ivresse versus sobriété, au-delà de la trivialité de l’alcool, la sobriété du vécu versus l’ivresse de la vie, l’extase de la réussite retrouvée, empreint de désespoir, de mélancolie qui bataillent avec le regain d’énergie et de vitalité. Qui n’a pas ressenti un quotidien, un bout de vie qui plombe comme des chaussures en fonte dans l’eau ? Qui n’a pas eu envie d’administrer une grande poussée dans la vase du jour pour remonter à la surface et à nouveau respirer ? Une telle lumière se dégage de cette œuvre que l’on en deviendrait accro, imbibé de la force psychotonique de What A Life de Scarlet Pleasure, prêts à faire le saut de l’ange dans la vie.
De Thomas Vinterberg; avec Mads Mikkelsen, Thomas Bo Larsen, Lars Ranthe, Susse Wold, Magnus Millang, Maria Bonnevie, Helene Reingaard Neumann; Danemark; 2020; 115 minutes.
Malik Berkati
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