Élection de Justin Trudeau: Raz-de marée ou ras-le-bol ?
Le 19 octobre dernier, en dépit de tous les sondages prévoyant un gouvernement minoritaire– sans certitude sur l’identité du vainqueur, le Parti Libéral de Justin Trudeau l’a remporté haut la main avec 184 députés sur 335. À 43 ans, le fils de l’ex-premier ministre Pierre-Elliott Trudeau devient le deuxième plus jeune premier ministre du Canada. Son élection signifie-t-elle un raz-de-marée en faveur des politiques libérales ou un ras-le-bol du gouvernement conservateur de Stephen Harper? Que signifie son arrivée au pouvoir pour le Canada?
Par Anne-Christine Loranger, Montréal
Au lendemain de l’élection de Justin Trudeau, un grand vent de soulagement semble avoir soufflé, non seulement sur le pays, mais sur l’ensemble des Canadiens disséminés à travers le monde. De Berlin à Beijing, dans les ambassades et consulats canadiens, on respirait plus librement. Tant à l’international qu’au pays, l’héritage du gouvernement Harper commençait en effet à peser très lourd: retrait du protocole de Kyoto en environnement, coupures massives des budgets en culture et en science, soutien ouvert aux politiques d’Israël, dégradation des droits sur l’avortement et jusqu’à la nomination d’un ministre des Sciences et Technologies créationniste. La bonne image du Canada, pays “compatissant, apaisant et conciliateur”, pour employer les mots du nouveau premier ministre, en prenait pour son rhume depuis 10 ans. Rompant avec les traditions canadiennes d’accueil et de tolérance, Stephen Harper semblait s’être aligné sur les factions conservatrices américaines, au grand dam d’une grande partie de sa population. Jadis voisin sympa de la belliqueuse Amérique, le Canada saura-t-il redorer son blason?
Porté par les réseaux sociaux
Dans les bureaux de Radio-Canada à Montréal, on célébrait ouvertement le soir du 19 octobre. Un nouveau gouvernement Harper, même minoritaire, aurait mis l’existence même du seul réseau national de radio et de télévision public en péril. Dans les rues, après la pesanteur et la grisaille qui avait précédé les élections, un petit vent de légèreté soufflait désormais. L’arrivée au pouvoir d’un premier ministre jeune et dynamique, ouvert aux contacts humains (il a sa page Facebook depuis 2002), a de quoi réjouir même les partisans du Bloc Québécois. Un enthousiasme touchant au délire avait salué l’arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche en 2008. Obama aussi avait été porté par les réseaux sociaux. Les mêmes danger guettent désormais celui qui fut assermenté le 4 novembre. Après l’enthousiasme des débuts on pourrait vite, comme avec Obama, voir venir la déception.
C’est le taux de participation à la 42e élection du Canada, un sommet depuis l’élection de 1993. Des 25,6 millions de personnes inscrites sur la liste électorale, près de 17,6 millions ont exercé leur droit de vote, selon Élections Canada.
Si enthousiasme réel il y avait dans le cas de Justin Trudeau. Car à 43 ans, pourvu d’un CV politique plus que mince et d’un programme difficile à définir, le nouveau premier ministre a été d’abord élu en opposition à Stephen Harper. On discutait ferme dans les chaumières durant les jours précédant l’élection, pas mal de gens (dont ma propre mère, indépendantiste québécoise jusqu’aux chromosomes), se demandant s’ils n’allaient pas, pour la première dans leur vie, voter libéral “juste pour sortir Harper”. Du “vote stratégique” revu et corrigé comté par comté sur les médias sociaux à la boussole électronique sur le site de Radio-Canada, chacun s’interrogeait. Ou semblait le faire! Finalement, les Canadiens se sont décidés pour le candidat qui leur semblait le mieux équipé pour battre Harper, tournant ainsi résolument le dos aux néo-démocrates de Thomas Mulcair et à leurs propres intérêts sociaux. Quand au Bloc Québécois… La défaite de son chef Gilles Duceppe dans Laurier-Ste-Marie à Montréal en dit long. Pour beaucoup, c’est la dernière pelletée de terre sur la tombe du rêve indépendantiste.
«Nous sommes de retour!»
« Je veux dire ceci aux amis de ce pays d’à travers le monde», annonçait Justin Trudeau lors de sa première conférence de presse. « Plusieurs d’entre vous vous êtes inquiétés que le Canada avait perdu sa voix compatissante et constructive sur la scène internationale au cours des 10 dernières années. Alors, j’ai un message très simple à vous livrer de la part de 35 millions de Canadiens : nous sommes de retour !» Le retour au traditionnel bercail libéral signifiera-t-il le retour à la corruption qui avait entaché les dernières années au pouvoir de Jean Chrétien?
Un point positif pour le nouveau gouvernement Trudeau: les choses semblent bouger à Ottawa. Le changement de génération incarné par le jeune Premier Ministre se retrouve dans la composition de son gouvernement, puisque la plupart de ses 30 ministres ont entre 35 et 50 ans. La parité promise durant la campagne est par ailleurs respectée puisque le gouvernement compte 15 femmes et 15 hommes, dont plusieurs représentants des communautés ethniques, religieuses et culturelles (l’autochtone Jody Wilson-Raybould, ancienne chef des Premières nations en Colombie Britannique devient Ministre de la Justice). Si M. Trudeau n’avait pas garanti qu’il participerait à tous les sommets internationaux qui se se succèdent cet automne en Turquie, aux Philippines et à Malte fin novembre pour le sommet du Commonwealth, il s’est engagé à assister à la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques de Paris en décembre. La nouvelle ministre de l’environnement, Catherine McKenna, ajoute par ailleurs à ses fonctions, fortement amoindries sous le gouvernement de Stephen Harper, celles de s’occuper aussi officiellement des changements climatiques
Au contraire du président américain, Trudeau n’aura pas un parti Républicain bien décidé à contrer toutes ses décisions progressistes dans les pattes. Il devra cependant affronter la résistance au changement. Si la parité homme-femme de ses ministres et la présence de minorité ethniques et religieuses ont été largement saluées, même au niveau international, il n’est en certes pas de même pour l’accueil de 25 000 réfugiés d’ici Noël et le retrait des avions de chasse canadiens en Syrie. Les attaques de Paris pourraient fort bien ralentir fortement l’agenda du nouveau prince libéral.
Ce sera, comme toujours, une histoire à suivre… Sur sa page Facebook!
Programme de Justin Trudeau et ses 12 travaux
- Recalibrer la grille fiscale pour réduire à 20,5 % le taux d’imposition des revenus entre 45 000 $ et 89 000 $ et augmenter à 33 % celui des revenus de 200 000 $ et plus.
- Refondre des prestations destinées aux familles en une seule, modulée selon les revenus, mais plus généreuse pour toutes les familles gagnant moins de 150 000 $.
- Mettre sur pied une enquête publique sur les femmes autochtones disparues ou assassinées.
- Légaliser la marijuana.
- Annuler le péage prévu sur le nouveau pont Champlain.
- Mettre un terme à la fin progressive de la livraison du courrier à domicile.
- Cesser les bombardements canadiens en Irak et en Syrie et mettre en place une mission d’entraînement des forces locales.
- Accueillir 25 000 réfugiés syriens supplémentaires.
- Réformer le mode de scrutin pour que, comme promis, « l’élection de 2015 soit la dernière élection fédérale organisée selon un scrutin majoritaire uninominal à un tour».
- Annuler le fractionnement du revenu pour les familles et dimi- nuer le plafond de cotisation annuelle aux comptes d’épargne libre d’impôt (CELI) à 5500 $.
- Bonifier le Régime de pensions du Canada.
- Interdire les publicités gouvernementales partisanes par la création d’un poste de commissaire devant autoriser les publicités d’Ottawa avant leur diffusion, comme cela se fait en Ontario.
« Il y aura de beaux jours, mais aussi de mauvais jours. Mais rappelons-nous ce que nous avons accompli ensemble. Ensemble. Pas par la division, pas par les attaques, mais en ralliant les gens. Nous devrons nous montrer à la hauteur de cet optimisme, de ce sentiment que tout est possible qui nous habite aujourd’hui. »
Anne-Christine Loranger