Empire of Light, de Sam Mendes, mêle avec maestria romance, mouvements sociaux et montée de l’extrême droite à travers une déclaration poétique au cinéma
Dans le sud de l’Angleterre, au début des années quatre-vingts, Hilary (Olivia Colman) travaille dans un cinéma, un lieu tout indiqué qui lui permet d’être en contact avec des gens et de rompre la solitude de sa vie.
Hilary est responsable du cinéma de cette ville balnéaire et tente, grâce à ce travail, de préserver sa santé mentale fragile. Stephen (Micheal Ward), qui vit avec sa mère Ruby (Crystal Clarke) venue de la Barbade pour travailler en Angleterre, est un nouvel employé qui n’aspire qu’à quitter cette petite ville de province où chaque jour peut vite se transformer en épreuve vu sa couleur de peau. Stephen a été recalé lors de ses examens d’entrée à l’université, mais il garde bon espoir de pouvoir entrer un jour à la faculté de médecine. En se rapprochant l’un de l’autre, ces deux âmes meurtries vont apprendre à soigner leurs blessures grâce à la musique, au cinéma et au sentiment d’appartenance à un groupe…
Hilary, femme d’âge mûr, est donc chargée d’apprendre les rudiments du métier à Stephen mais, entre le service des pop-corns et la vente des billets, elle ne va pas rester longtemps insensible au charme ravageur de ce jeune homme noir charismatique. Bien que tout semble les séparer – à commencer par leur différence d’âges et de cultures – une forte complicité et même une relation amoureuse se dessinent entre les deux employés, devant la bienveillance discrète des autres employés du cinéma.
Un protagoniste primordial du film, et qui en abrite l’intrigue, est l’Empire of Light, le cinéma de la ville, digne de la grande époque des salles de cinéma avec foyer, ouvreuses, bar en bois massif et luminaires de type Belle Époque le long des allées et au-dessus des rampes d’escaliers. Pour l’anecdote, ce lieu magnifique qui joue un rôle majeur dans le film est un vieux cinéma situé dans la ville balnéaire de Margate, à l’extrême sud-est de l’Angleterre. Cette vile à l’architecture victorienne est désormais revitalisée par l’arrivée du Musée Turner Contemporary et de nouveaux hôtels et bars, mais à l’époque où le film se déroule, cette station est sur le déclin.
Bien que Empire of Light soit le neuvième film de Sam Mendes en tant que réalisateur, c’est la première fois que le cinéaste travaille à partir de son propre scénario, mis en valeur de manière superbe par la photographie de Roger Deakins, nommé aux Oscars, et qui a remarquablement peaufiné les tonalités et la lumière profondément évocatrice, accompagnée par une bande-son judicieuse signée Trent Reznor et Atticus Ross.
Le scénario de Sam Mendes est ambitieux : le cinéaste mène de front plusieurs thématiques – un drame romantique, des mouvements sociaux et politiques, des troubles psychologiques qui s’entremêlent avec harmonie dans la caisse de résonance qu’est le cinéma. Sam Mendes a souligné dans une interview avec The Guardian que le personnage d’Hilary était fortement inspiré par sa propre mère, Valerie. Si l’idylle entre Hilary et Stephen sert de fil conducteur au récit, Sam Mendes rappelle la montée du nationalisme blanc de l’ère Thatcher, avec son lot de hooliganisme et de défilés de skinheads casseurs. Si les problèmes raciaux et psychologiques sont présents dans l’histoire, c’est l’amour du cinéma qui prévaut ; lors de ses temps de pause, Stephen se glisse auprès du projectionniste, Norman (Toby Jones) qui lui apprend le métier, entre bobines, lumières et projecteur, lui expliquant comment regarder les films pour en apprécier la valeur et en comprendre les secrets formels.
Empire of Light présente ainsi toutes les facettes d’un cinéma, y compris les personnes sans lesquelles le spectacle ne pourrait avoir lieu et dont on oublie l’existence une fois le film projeté. La lumière faite par le cinéaste sur le rôle crucial du projectionniste est d’autant plus magique lorsque le film présente la merveille de l’écran argenté, le tout capturé à travers une lentille teintée de rose grâce au travail subtil de Roger Deakins. On se prête volontiers au jeu et on s’imagine dans la cabine de projection, à savourer avec Stephen le plaisir coupable de découvrir de grands classiques du septième art à l’insu du directeur, Donald Ellis (Colin Firth) qui en profite pour abuser de son droit de cuissage sur Hilary.
Alors que la caméra de Sam Mendes amène le public à lorgner les écrans depuis la cabine du projectionniste, on revit avec bonheur la grande époque des salles de cinéma qui étaient de véritables théâtres… On se met à rêver au Capitole de Lausanne ou au Plaza de Genève.
Sam Mendes a indiqué avoir voulu rendre hommage à sa propre mère mais les spectatrices et les spectateurs décèleront dans son film une vibrante déclaration d’amour au cinéma !
Firouz E. Pillet
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