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FFMUC 2023 – Black Box de Aslı Özge a ouvert avec fracas la section Neues Deutsches Kino du 40ᵉ Festival du film de Munich !

La cinéaste turque Aslı Özge fait souffler un vent frais dans la production cinématographique allemande, avec un sens de la dramaturgie époustouflant. Imaginez un film qui commence sur le ton de la comédie – quoi de mieux que de placer au centre de son histoire une cour d’immeuble dans un quartier berlinois multikulti voué à la gentrification pour susciter immédiatement sourire et rire mi-figue mi-raisin dans un sentiment de déjà-vécu – et qui glisse subrepticement vers un état des lieux des tensions qui traversent la société pour se terminer sur un coup de massue porté par le réel qui tambourine à la porte de la fiction pour traverser l’écran ! C’est ce qui se déroule sous nos yeux dans ce huis clos qui abat les murs portants du « vivre-ensemble ».

— Anne Ratte-Polle, Luise Heyer et Jonathan Berlin – Black Box
© Emre Erkmen / Port au Prince Pictures

Black Box est maîtrisé de bout en bout par la réalisatrice qui fait tenir sa troupe d’actrices et d’acteurs dans un cadre qui ne fixe pas les personnages – si ce ne sont le méchant gérant immobilier et le réfractaire indéboulonnable qui conduit la rébellion –, et par le directeur de la photographie qui se meut au milieu des personnages et des différents lieux et fait danser sa caméra avec une précision et une fluidité impressionnantes. Il est vrai que chaque détail écrit est présent à l’écran, la réalisatrice n’a rien laissé au hasard et s’est appliquée à « rendre chaque appartement de locataires à l’image de leurs caractères, de leur mode de vie, une identification dans les tons et les agencements », nous confie-t-elle.
Chaque dialogue fait mouche, même ceux qui, de prime abord, semblent stéréotypés – typiquement les conversations sur et avec les allogènes : les rebondissements qu’ils procurent à l’histoire confortent l’idée que ces clichés font écho à une triste réalité qui ne met personne à l’abri, que ce soit d’en être récipiendaire que de les colporter soi-même. Aslı Özge, sans y avoir l’air, renvoie au public non une métaphore, mais plutôt une radiographie chirurgicale de l’état de notre société – c’est à la fois dérangeant humainement et fascinant cinématographiquement !

La boîte noire dont il est question est un container vitré installé dans la cour d’immeuble par la régie qui a pris en charge l’administration du lot d’immeubles qui l’entoure, occupé par le gérant, Monsieur Horn (Felix Kramer), qui cherche à corrompre indirectement certain∙es locataires, en maniant la carotte et le bâton, pour empêcher l’unité et la solidarité. Il cherche surtout à se débarrasser des locataires de trois appartements qui appartiennent à un Turc qui ne veut pas les vendre. Un matin, la cour de l’immeuble et ses habitants se retrouvent dans un état d’urgence : la police et les forces spéciales bloquent la rue et empêchent quiconque d’entrer ou sortir de la cour. Personne ne sait pourquoi, les rumeurs vont bon train, l’angoisse s’installe. Le gérant se mêle aux policiers dans leurs investigations, propage le venin de la suspicion généralisée, promeut les préjugés envers les voisins étrangers auprès du voisinage. Petit à petit, ce que l’on prenait pour un récit sur la gentrification devient celui d’un microcosme miroir de la société. Les relations familiales et amicales perdent de leur naturel, chacun∙e commence à regarder son seul et propre intérêt immédiat, la transformation se fait sur la base des rapports de force. Aslı Özge nous explique :

« Pour moi, il s’agit dans ce film de pouvoir, de comprendre comment, avec le mensonge, on arrive à ses fins. Cela vaut dans l’économie comme dans la politique, comme on a pu le voir avec Trump, par exemple. Comment on parvient à manipuler les gens. La boîte noire, c’est l’instrument qui enregistre toutes les activités d’un vol en avion. Quand il s’écrase, cela permet de comprendre ce qu’il s’est passé. C’était ma première idée : on l’ouvre et comme une boîte de Pandore, les éléments en sortent les uns après les autres. La cour fait office de boîte noire autant que le container où se trouve « le méchant ». La cour est comme un pays et les relations entre les locataires et les gérants – propriétaires ou non –, cette gentrification brutale, peut être mise en parallèle avec la gestion politique dans certains pays. La pandémie a provoqué beaucoup d’insécurité au sein de la société. Mais quand on a commencé à en voir la fin, on s’est demandé quelle serait la prochaine ! La question qui s’est posée est : Y a-t-il eu un changement ? Est-ce qu’il y a plus de solidarité ? C’est une interrogation centrale et il semble que la réponse est ouverte : on est au milieu d’une rue bouchée… va-t-on avancer ou rester coincé là ? »

— Felix Kramer – Black Box
© Emre Erkmen / Port au Prince Pictures

La dynamique de groupe est, à cet égard, très finement agencée, ici aussi la précision de l’écriture du scénario se ressent : les mouvements psychologiques et l’évolution des personnages ne vont pas dans un seul sens, les allers et retours sont permis, tout comme les zones d’ombre dans les motivations des un∙es et des autres – y compris les allogènes qui, dans l’esprit du bouc-émissaire, finissent par être victimes.

Le réflexe naturel est souvent de déplacer le curseur d’appréhension du danger sur l’extérieur, il n’en reste pas moins que la plupart du temps, il vient bel et bien de l’intérieur.Il s’agirait de faire attention à ne pas accepter de vivre dans un état d’urgence permanent…

d’Asli Özge ; avec Luise Heyer, Felix Kramer, Christian Berkel, Timur Magomedgadzhiev, Manal Issa, André Szymanski, Sascha Alexander Geršak, Jonathan Berlin, Anne Ratte-Polle; Allemagne, Belgique; 2023; 120 minutes.

Malik Berkati, Munich

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Malik Berkati

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