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Home is The Ocean : Et si la solution d’un avenir radieux était de vivre en mer … Rencontre avec Livia Vonaesch

La réalisatrice Livia Vonaesch révèle les coulisses de ses années de tournage sur un plateau de cinéma exigu : le petit voilier d’une famille suisse, Pachamama.

Home is The Ocean de Livia Vonaesch
©ican

Une famille suisse avec ses six enfants a établi sa maison sur un voilier. Il y a vingt-cinq ans, Dario Schwörer (57 ans). Guide de montagne, a pris la mer avec sa femme Sabine (50 ans) pour inciter la prochaine génération à agir pour la protection du climat avec l’expédition TOPtoTOP. Depuis un quart de siècle, les Schwörer parcourent l’immensité des océans, découvrant tous les continents pour rendre leur projet environnemental exhaustif. Dario et Sabine Schwörer ont donc transféré toute leur vie sur le voilier. Au nom de la science, ils prélèvent des échantillons d’eau dans les endroits les plus reculés et élèvent leurs enfants à bord. Avec leurs épuisettes, ils récoltent les précieux échantillons des océans du monde pour faire de la recherche de terrain dans les régions les plus reculées, en particulier dans l’Arctique où les microplastiques sont de plus en plus abondants.

Si la vie familiale des Schwörer en haute mer suscite curiosité et admiration, elle questionne aussi sur deux plans : tout d’abord, l’éventuelle frustration des enfants Schwörer privés d’une socialisation classique via l’école. Cette question surgit tout particulièrement quand le jeune Andri, face à son écran d’ordinateur, échange avec une intelligence artificielle et lui demande si elle a des enfants. L’IA lui répond que seuls les êtres biologiques peuvent avoir des enfants. Andri est-il satisfait de cet échange ? Ne préférerait-il pas parler avec des ami·es, voire avec des enseignant·es ?

La deuxième question qui interpelle le public concerne l’égalité des tâches et la parité à bord : alors que l’on voit tout au long du film Sabine s’occuper des enfants, préparant les repas et leur donnant des leçons, Dario est à la barre, étudiant les cartes et les tracés de leur parcours. Vivre sur un voilier implique-t-il inévitablement une répartition des tâches très traditionnelle et un bond en arrière dans l’organisation du microcosme familial ? Ou cette vision est-elle due aux choix des séquences retenues au montage du film ?

Tout semble être une question de point de vue, très subjectif. En effet, cette aventure qui n’était censée durer que quatre ans en haute mer s’est prolongée durant vingt-cinq ans. Élever six enfants dans un espace de vie de vingt mètres carrés au milieu de l’océan relève du défi : ce qui semble exigu, voire dangereux pour beaucoup, signifie liberté et sécurité pour les Schwörer.

Quand elle entend parler de cette famille insolite et aventurière, la réalisatrice suisse Livia Vonaesch décide d’accompagner les Schwörer avec sa caméra. Elle a suivi les huit membres de cette famille pendant sept ans et a documenté leur remise en cause des normes établies en matière d’éducation, d’études, de vie de famille, de terre natale et de sécurité. Une belle philosophie de vie, originale et téméraire, qui semble idyllique jusqu’au jour où une tempête les force à reconsidérer leurs choix de vie et leur constellation familiale, amenant la fille aînée et le fils aîné à devenir internes dans une école à Engelberg.

L’aventure en mer de la cinéaste aux côtés de la famille Schwörer va engendrer le documentaire Home is the Ocean qui sort désormais dans les cinémas romands.

Venue présenter son film en avant-première à Genève, Livia Vonaesch nous a parlé de son expérience à bord et de la vie de la famille Schwörer.

Comment est né le projet de ce documentaire ?

Quand j’ai découvert la façon de vivre de cette famille, je l’ai trouvée très originale et très inspirante. Puis je les ai rencontrés par l’intermédiaire d’une femme qui était, de temps en temps, l’enseignante des enfants sur le bateau. Elle m’a permis de prendre contact avec la famille, ce que j’ai immédiatement fait. J’ai passé Noël avec les Schwörer. J’avais déjà pris ma caméra avec moi, j’ai commencé par les filmer pour savoir comment ils se sentaient devant ma caméra. Je ne savais pas ce que cela impliquait de voyager en bateau avec eux et ils ne savaient pas ce que cela impliquait d’être filmé·es. Ma décision de faire ce documentaire est liée aux enfants et leur questionnement à mon égard. J’ai été inspirée par cette philosophie de vie différente et cette vision de la nature.

La famille Schwörer a accepté votre présence et votre caméra dans un espace très restreint. Quel genre de règles y avait-il ?

Nous avons convenu que je naviguerais également sur le navire et que je prendrais le relais. En particulier lors des quarts durant la nuit. Et puis, il était également clair que je ne filmerais aucune nudité des enfants. Et que la famille regarderait le film avant que nous le montrions au public. Sabine Schwörer a insisté sur l’importance de la communication : nous devions toujours nous parler. Dans un espace aussi restreint, il est extrêmement important que tout soit aussi adapté que possible à chacun.

Aviez-vous déjà navigué avant cette expérience ? Et quel a été le meilleur conseil que vous ayez reçu de votre famille lors de vos voyages en voilier ?

Avant de m’engager dans ce périple, j’ai pris des cours de navigation en mer. C’était important pour moi de pouvoir participer à l’expédition comme chaque membre de la famille. Quant aux conseils qu’on m’a donnés, le plus utile était certainement de vomir dehors et non dans le bateau, car le nettoyage prendrait beaucoup de temps. Il était également important de toujours s’accrocher au bateau pour éviter de tomber par-dessus bord, une situation périlleuse, en particulier en cas de tempête et dans les mers glacées. Comme le souligne Dario, si vous tombez du bateau dans des vagues violentes, vous pouvez très rapidement disparaître dans le creux de la vague. Sur le bateau, vous n’avez qu’un mètre d’eau, mais les conséquences sont les mêmes qu’avec une montagne où quelque chose peut tomber de mille mètres. C’est quelque chose qui est facilement sous-estimé.

En début d’entretien, vous avez mentionné que vous vouliez particulièrement documenter le mode de vie des enfants Schwörer, leur maturité ?

Pour moi, l’accent dans le cinéma était mis sur la narration scénique et je voulais transmettre des émotions et des histoires davantage à travers des expressions faciales plutôt qu’à travers des mots. Dès le début, les enfants m’ont captivée. Je voulais savoir comment ils avaient grandi sur le bateau. Comment ce contexte influence-t-il leur développement ? Quelles compétences et quels défis en découlent ? Pour moi, l’accent a été mis sur leur relation avec la nature, leurs désirs et la responsabilité qu’ils assument. Ce qui m’a le plus impressionnée chez les enfants Schwörer sont leur maturité et leur autonomie.

Dans une scène, le fils Andri grimpe au mât en haute mer et enregistre la scène avec une Go-Pro. La scène est terriblement vertigineuse et met mal à l’aise le public. Comment s’est passé le tournage de cette scène dangereuse ? Et comment avez-vous filmé les flancs du voilier qui perce les flots ? Avec des drones ?

Normalement, quiconque monte au mât le fait dans le port abrité. Monter et descendre en haute mer n’est pas sans danger, car cela peut vous faire osciller d’avant en arrière assez fort. Il faut juste s’accrocher fermement. Andri est monté au sommet du mât et a suivi les instructions que son père lui criait. Il était en confiance puisque son père l’a tiré avec la manivelle du treuil. Les enfants Schwörer ont grandi avec le voilier et ne connaissent que ce mode de vie. Ces situations n’ont rien d’anormal pour eux. Pour filmer l’extérieur du voilier en mer, dans les vagues, j’ai placé ma caméra sur le bateau d’un pêcheur.

Home is The Ocean de Livia Vonaesch
©ican

Quand on observe les enfants Schörer, chacun a une mission à accomplir, dès le plus jeune âge. Au fil des ans, chacun acquiert plus de responsabilités et une palette de connaissances très impressionnante. Comment vivent-ils cet apprentissage à la Robinson Crusoé ?

J’ai observé diverses choses qui me semblent cruciales : premièrement, la stabilité et la sécurité au sein de la famille, imprégnées par la maturité des enfants, chacun a des responsabilités claires et un engagement auquel il adhère. Deuxièmement, la confiance qu’on leur accorde lorsqu’on leur confie des tâches à responsabilité sans les laisser seuls avec elles. Les parents les responsabilisent et leur font confiance tout en les encadrant. Par exemple, pendant les quarts de nuit, les enfants sont seuls et dirigent le navire, mais peuvent appeler à tout moment les parents navigateurs expérimentés. C’est impressionnant de voir la conscience que les enfants ont de leur responsabilité, quel que soit leur âge. J’ai l’impression qu’ils ont développé une forte confiance en eux et qu’ils sont capables de prendre de bonnes décisions pour eux-mêmes.

Que vous a apporté cette expérience en haute mer ?

En traversant la mer, une étendue ouverte, l’espace et le temps se dissolvent. On ne vit plus selon le rythme habituel du jour et de la nuit ; à un moment donné, les frontières deviennent floues, surtout dans le nord, où il ne fait plus nuit en été. La nature montre sa puissance et l’être humain réalise à quel point il est petit et insignifiant en comparaison. Cela apporte de l’humilité face à l’immensité de l’univers.

Quand on découvre les enfants aînés, devenus internes à Engelberg, parler et s’amuser avec leurs camarades, on se demande si la vie établie sur la terre ferme ne leur manquait pas auparavant ?

Il était important et convenu pour les parents Schwörer que, à partir de l’école secondaire, leurs enfants iraient en internat en Suisse. Cela a été plus compliqué que prévu, car les Schwörer sont considérés comme des Suisses de l’étranger, l’école n’est donc plus gratuite pour leurs enfants et les coûts sont très élevés. Comme leur expédition est soutenue par des levées de fonds lors de leurs escales, ils n’avaient pas les moyens d’assumer les frais de scolarité de leurs ainés. Ils sont parvenus à obtenir une bourse pour leurs enfants qui ont pu intégrer un internat. Les plus jeunes bénéficient des cours prodigués par Sabine et, ponctuellement, par l’enseignante qui vit à bord du voilier. Les enfants parlent tous l’anglais en plus de leur langue maternelle, le suisse-allemand.

Les gens qui verront le film pourraient être tentés par une telle vie. Les Schwörer dispensent-ils des conseils aux éventuels candidats ?

Si le public souhaite prendre contact avec les Schwörer, c’est possible. Dario reçoit des demandes de renseignements chaque semaine. Après la sortie de Home is the Ocean, il y en aura probablement encore plus. C’est bien d’inspirer les autres. L’objectif de leur mission ToptoTop est de rapprocher les gens de la nature et de sensibiliser les jeunes générations à l’importance du climat et à la protection de la nature. Par le biais de leurs enfants, cela permet de toucher d’autres enfants, les adultes de demain. C’est leur projet de vie. Dario et Sabine trouvent bien quand les gens sont encouragés à faire quelque chose ensemble. Il n’est pas nécessaire que ce soit sur un voilier. Pour ce couple, il s’agit de passer du temps avec les enfants.

À propos du couple, Sabine a vécu ses six grossesses en mer, en toute sérénité apparemment, sauf pour la dernière où Sabine redoute un risque de pré-éclampsie vu son hypertension…

Il faut préciser que Sabine a une formation d’infirmière, ce qui lui a permis de gérer ses grossesses. Effectivement, lors de sa dernière grossesse, elle avait de l’hypertension, des maux de tête très violents et savait les risques pour le bébé. Mais elle ne pouvait pas contrôler sa tension. Elle a donc dû se rendre rapidement dans un hôpital de Reykjavík. Mais elle m’a dit qu’elle s’est toujours sentie bien sur le voilier, surtout durant ses grossesses. Ainsi, chaque enfant est né dans un pays différent : Australie, Singapour, Chili, Islande, etc. Certains des enfants ont pu acquérir, par droit du sol, la nationalité du pays où ils sont nés, comme Andri qui est chilien. Il y a un véritable microcosme international au sein du voilier, souligne Dario. À un moment donné, ils grandissent et suivent leur propre chemin. Quant aux disputes, il y en a comme dans toutes les familles, mais pas plus que sur la terre ferme ! Beaucoup de gens pensent que les enfants sont un obstacle. Mais avoir des enfants ne limite les projets des parents en rien. Les parents peuvent faire beaucoup de choses avec eux et chérissent ces moments partagés.

Les Schwörer pensent que si les gens souhaitent faire quelque chose, qu’ils n’attendent pas une éternité pour le faire. Vous êtes toujours en sécurité si vous respectez la nature. Vous ne devriez pas traverser l’Atlantique tout de suite, mais peut-être faire une excursion d’une journée. Le plus important est d’apprendre à improviser et à se lancer !

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

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