IFFR 2023 : Wir sind dann wohl die Angehörigen de Hans-Christian Schmid – une famille en état d’urgence !
Pour des raisons dramaturgiques, la plupart des histoires d’enlèvement sont racontées dans la perspective des ravisseurs ou de la police. Hans-Christian Schmid réussit le tour de force de tenir en haleine le public en prenant le parti de faire défiler le déroulé d’un enlèvement à travers le prisme des proches de la victime. Les écueils sont nombreux, le premier d’entre eux, l’ennui qui pourrait gagner à regarder une famille souffrir en attendant la libération du leur. Il n’en est rien, la finesse du scénario alterne avec habileté les scènes de tensions enduites par les actions – prises de contacts avec les ravisseurs, remises de rançon avortées, couacs policiers – et les scènes qui pénètrent l’état psychique dans lequel se trouvent les protagonistes.
L’histoire, basée sur le livre éponyme de Johann Scheerer, fils de Jan-Philipp Reemtsma, un multimillionnaire hambourgeois, enlevé en mars 1996, raconte les événements selon le ressenti de la famille, singulièrement celui du fils, dont l’enfance a brutalement été stoppée à 13 ans, lorsqu’un matin sa mère est venue le réveiller en lui annonçant, d’une manière pour le moins particulière la mauvaise nouvelle :
« Johann, nous devons maintenant surmonter une aventure ensemble. Jan-Philipp a été enlevé. »
Pendant 33 jours, sa vie va être mise en parenthèse, il ne peut plus aller à l’école ni répéter avec son groupe de rock Am kahlen Aste (qui plus tard se nommera Score! Et produira plusieurs titres avant sa dissolution en 2001). Le jeune adolescent a une relation tendue avec son père et la dernière fois qu’ils se sont parlés, cela s’est terminé en dispute, le père voulant que son fils lise un ouvrage de Virgile jusqu’à Pâques, injonction que Johann (Claude Heinrich) rejette avec virulence, ne voyant aucun intérêt à l’apprentissage des langues mortes.
Dès que la police a été informée de l’enlèvement, une task force s’installe dans la propriété de la famille. Deux agents spéciaux, qui ne veulent être nommés que par leurs noms de code (Vera et Nickel) prennent leurs quartiers, avec l’avocat de la famille, Johann Schwenn ainsi qu’un ami proche, ayant une relation de confiance avec le fils. Tout ce petit monde va devoir gérer son temps et ses émotions entre les longs moments d’attente, remplis par les repas en commun, les loisirs partagés, et les moments d’effervescence lorsque les ravisseurs les contactent pour leur donner leurs instructions. Une étrange version de la vie quotidienne se met en place, sorte de vie parallèle au reste du monde, même si on fête Pâques tous ensemble, que l’on joue de la musique ensemble, que le soir, on boit un verre et on rit ensemble, comme si tout était normal.
Les tensions entre la police et les proches se tendent à chaque contact avec les kidnappeurs, les uns et les autres poursuivant le même but, mais selon des priorités différentes : la famille veut seulement la libération de Jan-Philipp (Philipp Hauß), la police veut aussi capturer les ravisseurs. Des deux côtés, les couacs se multiplient : la police prépare mal son protocole de suivi lors des tentatives de remise de rançon, l’avocat de la famille chargé de communiquer avec les ravisseurs, supportant mal le stress, se trompe régulièrement lors de ses échanges téléphoniques avec les criminels. Les reproches réciproquent se multiplient et la confiance entre les deux parties se brise.
Chaque jour qui passe augmente l’intensité de la tension qui traverse cette communauté en état d’urgence, jusqu’au moment de bascule où Ann-Kathrin (Adina Vetter) prend les choses en main, engage une société privée et relègue la police dans un rôle de back-up.
L’angle narratif de Wir sind dann wohl die Angehörigen (que l’on pourrait traduire par « Nous sommes bien les proches»), ne dévie jamais de son intention – il n’y a pas d’incise dans le monde des ravisseurs, ni dans celui du kidnappé ou dans celui du travail de la police – et parvient ainsi à nous embarquer résolument dans la dynamique qui se développe dans la maison, nourrie par la routine, l’attente, la pression, la peur, les remords, l’épuisement, les moments d’espoirs suivis de désespoirs – un Kammerspiel sensible et fascinant qui tient en haleine jusqu’à sa résolution.
De Hans-Christian Schmid; avec Claude Heinrich, Adina Vetter, Justus von Dohnányi, Hans Löw, Yorck Dippe, Enno Trebs, Fabian Hinrichs, Philipp Hauß; Allemagne; 2022; 118 minutes.
Malik Berkati
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