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Inna de Yard  : le dernier documentaire de Peter Webber remet sur le devant de la scène des gloires mythiques de la « soul » jamaïcaine

Ayant grandi dans l’ouest de Londres durant les années 1970, le réalisateur Peter Webber a baigné dans le reggae qui était partout vu l’importante communauté jamaïcaine. Le carnaval de Notting Hill – la plus grande manifestation de rue de la capitale, a aussi imprégné sa jeunesse.

 

Peter Webber (The Girl With A Pearl Earring) entraîne les spectateurs sur les hauteurs verdoyantes de Kingston – la capitale de la Jamaïque et non la banlieue Sud-Ouest de Londres – où des légendes du Reggae se retrouvent pour enregistrer un disque intitulé Inna de Yard. Plus de trente ans après leur âge d’or, ils s’apprêtent à repartir en tournée à travers le monde. A l’instar de l’album qu’ils enregistrent, le documentaire raconte l’aventure humaine de ces chanteurs qui, en plus d’incarner un genre musical mythique et universel, font vibrer l’âme de la Jamaïque. Car la « soul of Jamaica » est aussi une philosophie de vie.

Le film capte les diverses étapes, emplies d’émulation entre les gloires mythiques et les jeunes musiciens de la relève durant l’enregistrement d’un album acoustique capturant la musique dans son état vierge.

— Cedric Myton, Winston McAnuff, Ken Boothe, Kiddus I – Inna de Yard
© 2018 Borsalino productions

La caméra de Peter Webber suit le groupe  transgénérationnel réuni dans une vieille maison à Stony Hill, avec des fenêtres qui s’ouvrent sur les montagnes verdoyantes, laissant les sons de la nature se répandre et se fondre dans la musique. Les murs sont tapissés de vinyles, c’est un sanctuaire à la musique de l’île. Pas seulement du reggae, comme le souligne le film avec des explications sur les styles qui ont permis au reggae de naître et sur l’évolution de ce son particulier, mais aussi du ska, du rock steady et des roots, aux rythmes plus soutenus plus difficiles à tenir sur la longueur pour les danseurs contrairement au reggae.

Le film de Peter Webber  suit donc le collectif éponyme de chanteurs de reggae légendaires, qui ont uni leurs talents pour remonter aux sources de leur musique à travers un album exceptionnel, enregistré en acoustique et en plein air. Inna de Yard – littéralement « in the yard » – signifie « dans la cour ». C’est là qu’ont vu le jour et se sont développées des musiques jamaïcaines tels que le ska, le rocksteady et, bien sûr, le reggae. La cour où les vingt musiciens se sont retrouvés durant quelques jours pour enregistrer ce disque extraordinaire n’est autre que la terrasse d’une maison perchée sur les hauteurs de Kingston, au cœur de la luxuriante nature jamaïcaine.

L’album regroupe des interprètes mythiques, toujours énergétiques et fougueux,  tels que Ken Boothe, Kiddus I, Winston McAnuff, Cedric Myton (le leader des Congos), les Viceroys, Horace Andy et Judy Mowatt, ainsi que les espoirs les plus prometteurs de la nouvelle génération reggae, représentée par Jah9, Var, Kush McAnuff et Derajah. Ils ont ensemble revisité les titres phares de leur répertoire dans une orchestration acoustique comprenant un piano, une basse, une guitare sèche et un ensemble de percussions traditionnelles nyabinghi rasta. Quelques cuivres et un accordéon sont venus compléter l’ensemble.

— The Viceroys (Neville Ingram, Michael Gabbidon, Wesley Tinglin), Winston McAnuff, Kiddus I – Inna de Yard
© 2018 Borsalino productions

Judicieusement, Inna De Yard utilise l’enregistrement d’un album acoustique de classiques du reggae comme tremplin pour examiner la Jamaïque et son histoire culturelle. Le film rappelle la destinée des escales marrons de Jamaïque sont les descendants des Africains qui ont lutté contre l’esclavage et se sont échappés pour fonder des communautés libres dans les régions montagneuses de l’intérieur de la Jamaïque, à l’époque de l’esclavage. Il est probable que les premiers à fuir aient été les esclaves importés durant l’époque de la colonisation espagnole. De nombreux esclaves ont acquis leur liberté lorsque l’Angleterre a pris la Jamaïque en 1655. Le film, mélange séduisant de musique accessible et de personnages sympathiques, crée une atmosphère presque aussi enivrante que la fumée qui enveloppe perpétuellement les têtes des vieux dreadlocks qui sont invités à revisiter leurs classiques.

Les bruits imperceptibles de la nature jamaïcaine associés aux sonorités si particulières de leur musique confèrent à l’album toute sa magie. Le caractère unique du projet repose sur les talents en présence de même que sur l’ambition commune de rappeler au monde l’originalité et la beauté de cette musique, qui tient tout autant de la soul, du gospel et de ses influences américaines que des croyances rastafari.

Le projet de cet album a amené ces vieilles gloires de la musique jamaïcaine – véritables légendes vivantes – et la jeune génération, animées par le plaisir de jouer ensemble, de partager et de transmettre, ainsi que le désir de parcourir une nouvelle fois le monde. On assiste d’ailleurs à un magnifique concert à Paris devenu culte, dans la salle comble du Trianon.

Inévitablement, on fait la comparaison avec Buena Vista Social Club de Wim Wenders, un documentaire qui a non seulement relancé la carrière des musiciens afro-cubains dont la vie s’est arrêtée après la révolution cubaine, mais qui a aussi provoqué une augmentation du tourisme à Cuba. Mais Inna De Yard  n’a pas la vocation de la découverte des talents perdus de vue depuis longtemps puisque tous ces artistes se produisent encore et envoient les quelques sous qu’ils gagnent à leurs nombreux enfants émigrés aux États-Unis comme par exemple Cedric Myton qui avoue avec auto-dérision qu’il a eu quelques soucis à cause de l’herbe et qu’il a été expulsé du pays de l’Oncle Sam.

On sort du cinéma par une émotion et une énergie qui nous habitent encore bien longtemps après la projection … Et l’envie frénétique de se procurer au plus vite de ce fameux albums qui doit être prochainement dans les bacs.

Firouz E. Pillet

Dans les salles en Suisse et en Allemagne.

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Firouz Pillet

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