j:mag

lifestyle & responsible citizenship

Cinéma / KinoCulture / Kultur

La Nouvelle femme (Maria Montessori), premier long métrage de Léa Todorov, retrace le parcours hors du commun de Maria Montessori et met en lumière la place réservée aux enfants dits « différents »

Après deux documentaires, Léa Todorov réalise sa première fiction en s’inspirant de la pédagogue avant-gardiste de la médecin italienne qui a révolutionné la pédagogie du début du XXe siècle en Italie puis à travers le monde.
En 1900, Lili d’Alengy (Leïla Bekhti), célèbre courtisane parisienne vit comme demi-mondaine qui s’épanouit dans les salons de la bourgeoisie de la capitale. Mais la cocotte cache sa fillette Tina (Rafaëlle Sonneville-Caby), née avec un handicap. Peu disposée à s’occuper d’une enfant qui menace sa carrière, elle décide de quitter Paris pour Rome. Elle y encontre Maria Montessori (Jasmine Trinca), une femme médecin qui développe une méthode d’apprentissage révolutionnaire pour les enfants différents qu’on appelle alors « déficients ». Maria Montessori travaille assidûment sous la houlette du Dr Giuseppe Montessano (Raffaele Esposito) mais, rapidement, l’élève dépasse le maître. Maria Montessori est une femme dans la société conservatrice de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle : son travail est non rémunéré et lors des présentations publiques de sa méthodologie, les lauriers vont au Dr Montessano.
À l’instar de Lili d’Alengy, Maria cache aussi un enfant né hors mariage, Mario, placé chez une nourrice à la campagne. Trop modernes pour leur époque, Lili et Maria vont s’entraider pour s’imposer dans un monde d’hommes qui se moquent volontiers de ces femmes frondeuses, pugnaces et en avance sur leur temps.

La Nouvelle femme (Maria Montessori) de Léa Todorov
© Geko Films – Tempesta

Dès les premières versions du scénario, Léa Todorov songeait à Jasmina Trinca pour interpréter Maria Montessori mais l’actrice n’a pas immédiatement accepté le rôle, car elle commençait alors le tournage de son premier long-métrage en tant que réalisatrice, Marcel ! (2022).

La figure de Maria Montessori peut paraître, de prime abord, dure, autoritaire et certains éléments de sa biographie paraissent incompréhensibles, comme le fait que cette femme consacre sa vie à des méthodes pédagogiques basées sur des activités et un matériel adaptés aux besoins personnels et au rythme de chaque enfant, en considérant ses particularités, puisse délaisse son propre enfant aux soins d’une mère nourricière. Malgré les ambiguïtés et les ambivalences de cette médecin pédagogue, Jasmine Trinca nous la rend sympathique en l’incarnant avec l’attention et la bienveillance qu’elle portait à l’égard des enfants rejetés ou cachés par la société. Grâce à l’interprétation authentique de la comédienne, la personne de Maria Montessori nous apparaît avec sa force comme avec ses failles, sans aucune considération manichéenne. Rappelée en Italie par le ministre de l’Éducation fasciste pour transformer en profondeur le système éducatif italien en vue de fabriquer l’Homme Nouveau, elle avait trouvé dans le fascisme une opportunité de répandre sa méthode, peut-être en ignorant les risques de ce régime totalitaire…

Avant cette première fiction, Léa Todorov a réalisé les documentaires Sauver l’humanité aux heures de bureau (2012) et Utopie russe (2014), puis a co-écrit avec Joanna Grudzinska, Laurent Roth et François Prodromidès le documentaire Révolution école : l’éducation nouvelle entre les deux guerres (2016), consacré aux pédagogies alternatives dans l’entre-deux-guerres. C’est alors que l’autrice et cinéaste se documente sur Maria Montessori et se passionne pour sa méthode reposant sur l’éducation sensorielle et kinesthésique de l’enfant. Développée à l’origine pour les enfants neuro-atypiques, cette méthode aux résultats étonnants a été appliquée par sa créatrice sur un spectre plus large d’enfants, avec des résultats encore plus probants, stimulant les enfants à apprendre seuls par l’observation et l’expérimentation, puis a essaimé à travers le globe.

Le titre du film, La Nouvelle femme, fait allusion à l’expression qu’utilisent communément les historiens pour désigner ces femmes féministes, éduquées et indépendantes du début du XXe siècle, qui avaient réussi à accéder à des fonctions professionnelles et à des carrières universitaires, et qui affirmaient, grâce au savoir, leur place dans la société encore patriarcale et conditionnée par les carcans conservateurs.

S’étant beaucoup documentée, Léa Todorov opte pour donner à son récit une fidélité historique en puisant dans les biographies de Rita Kramer, de Marjan Schwegman, et celle de Valeria Paola Babini. Le souci de véracité a amené la réalisatrice à tourner avec des enfants neuro-atypiques. Certains des enfants ont des difficultés motrices, d’autres cognitives, d’autres, des troubles sensoriels, mais, quel que soit leur handicap, tous ces enfants ont une immense capacité émotionnelle et établissent un lien immédiat tant avec le reste des comédiens qu’avec le public.

La Nouvelle femme permet une réflexion sur la place de la femme dans la société italienne du début du XXe siècle, sur la place réservée des enfants déficients, sur les choix douloureux de Maria Montessori pour pouvoir mener son combat de femme, de médecin, de scientifique et faire connaître ses découvertes sur les immenses potentialités de l’enfant à la lecture de ses méthodes révolutionnaires. Le regard de la documentariste demeure perceptible derrière celui de la réalisatrice de fiction qui soigne des paysages picturaux, tant à l’académie où travaille Maria Montessori qu’à la campagne où elle rend visite à son fils. Dans un camaïeu de couleurs qui châtie le regard, la cinéaste signe un bel éloge à l’intelligence d’une femme qui reste authentique, fidèle à ses valeurs et à ses convictions malgré la douleur de la séparation et l’abnégation qui la rendent plus forte.

Les somptueux décors sont accompagnés par une musique magistralement interprétée par Anaelle Reitan, jeune pianiste très prometteuse, dont l’interprétation talentueuse livre une bande-son magnifique.

Au-delà de la vie de Maria Montessori, c’est la condition de la femme dans l’histoire de l’humanité dont il est question ici. La condition féminine a évolué, mais La Nouvelle femme souligne combien il était – et parfois, il est encore ! – difficile d’être femme dans un monde scientifique ou dans tout autre monde à majorité masculine.

Le parcours de Maria Montessori est admirable et si cette femme médecin a tracé des voies pour ses congénères comme pour les générations futures, le chemin qu’ont traversé les femmes pour obtenir l’égalité était semé d’embûches… Et il semble encore l’être, à bien des égards, aujourd’hui !

Firouz E. Pillet

© j:mag Tous droits réservés

Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

Firouz Pillet has 968 posts and counting. See all posts by Firouz Pillet

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*