L’Accident de piano, de Quentin Dupieux, livre une satire impitoyable de la société contemporaine, auscultant les relations entre célébrités et réseaux sociaux
Prolifique, voire créateur stakhanoviste, le réalisateur français ne cesse de créer à une cadence vertigineuse et avec une grande liberté.
© Chi-Fou-Mi Productions, ARTE France Cinéma, Auvergne Rhône-Alpes Cinéma
Après le pneu serial-killer de Rubber (2010), le blouson pousse-au-crime dans Le Daim (2019), la mouche géante de Mandibules (2020), une tentative de remonter le temps dans Incroyable mais vrai (2022), une mise en abîme de l’univers de l’artiste catalan dans Daaaaaalí ! (2023), pour ne citer que certains de ses longs métrages parmi son abondante filmographie, le cinéaste propose son dernier opus, L’Accident de piano, présenté hors festival, une fois n’est pas coutume !
Réalisé et écrit par Quentin Dupieux, le film s’inscrit dans sa filmographie récente, marquée par une grande liberté de ton mais, contrairement aux films précédents, reconnaissables par leurs formats courts, paraît étonnement « long » pour un film de Dupieux : 88 minutes !
Magalie (Adèle Exarchopoulos, ici dans un contre-emploi) est une star du web, hors sol et sans morale, qui gagne des fortunes en postant des contenus choc sur les réseaux. Après un accident grave survenu sur le tournage d’une de ses vidéos, Magalie, un bras dans le plâtre, une minerve et un appareil dentaire disgracieux, s’isole à la montagne avec Patrick (Jérôme Commandeur), son assistant personnel, pour faire une pause. Sur le trajet, un corbeau est tué. Magalie l’enterre dans la neige, en espérant qu’il va se réincarner en quelque chose de meilleur. Ce qui peut paraître un détail pour certain·es aura son importance ultérieurement. On est dans l’univers de Quentin Dupieux : il faut rester vigilant à tout ce que le cinéaste met en scène, dans les moindres détails. D’ailleurs, l’affiche porte en elle tout un symbole : deux lèvres rouge carmin sur fond noir, à l’instar de la bouche des Rolling Stones qui symbolise l’anticonformiste à connotation sexuelle, la bouche de Dupieux entrouve les lèvres pour laisser apparaître les touche d’un piano.
Une journaliste, Simone (Sandrine Kiberlain), détenant une information sensible qui peut l’envoyer en prison, commence à lui faire du chantage. La vie de Magalie bascule. Persuadée d’être irrésistible, Magalie pense que la journaliste veut coucher avec elle. Mais la journaliste veut simplement obtenir une interview exclusive. Cette interview a lieu dans un gymnase. Magalie raconte qu’elle est insensible à la douleur et qu’elle poste des vidéos d’expériences sur son corps depuis son adolescence : électrification avec une batterie de voiture, coups de marteau, pic à glace, machine à coudre, un coup de batte de baseball à vive allure, etc. Non seulement Magalie ne ressent pas la douleur, mais ces expériences ne la blessent pas.
La dernière expérience doit consister en la chute d’un piano, suspendu par une grue. Pour que cela soit plus impressionnant, Magalie demande avec insistance au grutier de monter le piano encore plus haut, alors que la sécurité ne peut plus être garantie…
Quentin Dupieux, connu pour ses films atypiques et ses récits décalés, mais surtout déjantés, revient avec une nouvelle comédie qui puise dans l’ère contemporaine en mettant en scène une influenceuse victime d’un accident mystérieux, qui ne se nourrit que de yaourt nature à cause des bagues dentaires qu’elle porte, non par nécessité mais comme signature distinctive, « afin que ses followers la reconnaissent ». L’Accident de piano raconte donc l’isolement volontaire d’une célébrité, et qui dit célébrité, dit fans et harcèlement. Le cinéaste critique le monde numérique où la notoriété écrase l’identité. Même dans ce chalet de montagne, certes très haut de gamme, Magalie ne peut pas être tranquille, reconnue par deux jeunes qui ne cessent de l’épier dans ses moindres mouvements et de jeter des pots de yaourts sur les fenêtres du chalet pour qu’elle apparaisse. Ces deux jeunes, Roméo, le grand frère (Karim Leklou) et son cadet, Karim (Gabin Vison) ne souhaitent qu’une seule chose : quelques selfies avec leur star.
Fidèle à l’esprit du réalisateur, le film distille une ambiance décalée mêlant absurde, humour noir et critique les médias contemporains et leurs relations avec les célébrités. Il reflète la volonté du cinéaste d’explorer les conséquences sociales et psychologiques de la viralité sur internet. La présence d’un petit nombre de personnages dans ce huis clos en montagne alimente un cadre intimiste propice aux situations absurdes et cathartiques.
La musique du film est signée Quentin Dupieux (crédité Mr. Oizo, l’alter ego musicien du cinéaste). Quelques notes cacophoniques accompagnent la première partie du film, symbolisant l’état du pauvre instrument après sa chute de dix mètres, et Chilly Gonzales qui a composé le postlude.
L’Accident de piano s’adresse aux fans inconditionnels du réalisateur, mais aussi à un public sensible aux représentations contemporaines de la notoriété et de l’isolement.
Firouz E. Pillet
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