Le Kino Babylon (Mitte) de Berlin fête en grande pompe les 100 ans d’Ingmar Bergman du 12 juillet au 12 août 2018
Ingmar Bergman. Rien qu’à l’évocation du nom du cinéaste, écrivain, homme de théâtre suédois, il y a en général deux réactions : la première, et la plus courante, un sourire en coin affichant d’un air entendu quelque chose qui veut dire peu ou prou, « ah oui, celui qui a fait des films auxquels on ne comprend rien et qui servent à s’endormir » ; la seconde, celle des aficionados, pour qui Bergman est le plus grand metteur en scène du monde. En Suède cependant, il existe d’autres réactions qui ont trait au rapport difficile qu’entretenait le cinéaste avec la critique, les relations compliquées avec le monde du théâtre, les problèmes avec les autorités fiscales qui l’ont amené à l’exil, l’ambivalence d’une icône nationale vue par une partie de la population comme un grand artiste mais un homme exécrable. Outre un passé peu glorieux de sympathisant nazi, pour lequel par la suite il a finit par avoir honte, de père totalement absent pour ses six enfants, il pouvait avoir une attitude tyrannique sur les plateaux de théâtre et de manipulateur à la limite de la perversité sur ceux de cinéma. Nina Röhlcke, attachée culturelle de l’ambassade de Suède en Allemagne avoue elle-même pendant la conférence de presse (au passage, il n’y a bien que des Scandinaves capables d’une telle honnêteté à ce niveau diplomatique) qu’elle a toujours trouvé « son œuvre extra, mais je n’aimais pas l’homme. Je m’étais identifié à ses enfants et le considérais comme le mâle génial typique. Sans compter que je l’ai rencontré quand je suivais l’école de cinéma, et cela ne s’est pas arrangé : il trouvait qu’il était en position trop basse par rapport aux étudiants, il a donc fait empiler des chaises pour être comme sur un trône. » Nina Röhlcke poursuit, « mais en diplomatie culturelle, on est bien obligé de s’occuper de Bergman quand on est Suédois ! »
Une œuvre marquée par sa propre relation à la vie et au monde
Pendant 59 ans, Ingmar Bergman a réalisé une soixantaine de films pour le cinéma mais aussi la télévision et « en a écrit la majorité des scenarii » explique Renate Bleibtreu, sa traductrice en allemand et éditrice d’une œuvre-portrait intitulée Im Bleistift-Ton , pour laquelle Ingmar Bergman lui a accordé l’accès exclusif à ses manuscrits et archives qui contiennent des milliers de pages et de notes de travail, qui ajoute : « Ses scenarii ne sont pas, comme souvent, juste faits pour la réalisation des films, ce sont de vrais livres ! ». L’homme, idéal-type du workaholic, ne cessait de travailler, certaines années, il était même capable d’enchaîner plusieurs productions cinématographiques, télévisuelles et théâtrales, les unes nourrissant parfois les autres. « Ingmar a continuellement travaillé au théâtre, depuis ses années d’études jusqu’à sa mort, ce qui se reflète dans ses films », dit Renate Bleibtreu, « il a également été intendant de nombreux théâtres et a changé beaucoup de chose dans ce milieu artistique, à commencer par les conditions et les structures de travail. » L’autre caractéristique du réalisateur est d’avoir toujours travaillé avec les mêmes acteur-trice-s du début jusqu’à la fin, ses actrices étant/devenant souvent ses amantes.
Ses thèmes de prédilection étaient la résistance envers la plus haute autorité, que ce soit celle du père, du Dieu silencieux ou de la mort, la représentation de la bourgeoisie et celle du sentiment amoureux et des relations tourmentées qui en résultent, tous nourris par ses angoisses, ses obsessions et ses traumatismes. Regarder les personnages de Bergman évoluer dans son cadre, c’est voir Bergman lui-même dans ses personnages, féminins également, souvent même, parfois dans une schizophrénie palpable comme dans le fameux Persona (1966) où une actrice (Liv Ullman) s’enferme dans le silence alors que l’infirmière qui s’occupe d’elle (Bibi Andersson) ne cesse de babiller. Comme le dit Liv Ullman à la documentariste Jane Magnusson dans Bergman – A Year in a Life à propos de ce film : « c’était des femmes, mais il parlait d’un homme, de lui. Ingmar Bergman parlait des êtres humains. » Le cinéaste utilisait ses acteurs et actrices sans distinction pour externaliser ce qu’il avait en lui et le montrer au monde.
« Ma femme est la scène de théâtre, mais le cinéma est mon amante. » avait-il l’habitude de dire. Pendant un mois, le Babylon-Kino donne un bel aperçu de ce ménage à trois singulier avec la projection de quasiment toute son œuvre cinématographique et offre de belles et exceptionnelles rencontres autour d’Ingmar Bergman, avec la projection de 4 documentaires sur le cinéaste, et principalement le dernier en date, Searching for Ingmar Bergman de Margarethe von Trotta qui sera présente et dont la projection le 16 juillet sera précédée d’une discussion exceptionnelle (en anglais) entre Liv Ullman, qui a tourné 10 films avec Bergman, a vécu avec lui 5 ans pendant lesquels ils ont eu une fille, et Margarethe von Trotta. Liv Ullman sera également présente le 17 juillet pour une rencontre avec le public, il sera ici question d’elle-même, Liv Ullmann live – Liv Ullmann über Liv Ullman.
On regrettera que le documentaire, lui aussi de 2018, de Jane Magnusson, Bergman – A Year in a Life, qui relate à travers l’année 1957, la plus productive du cinéaste, année charnière qui permet de mettre en lumière la trame personnelle et artistique qui tend son œuvre, ne soit pas également présenté. Le film sortira dans les mois qui viennent, vous pourrez retrouver la critique prochainement dans le compte-rendu complet du Filmfest München.
Dans le foyer du cinéma Babylon, une installation vidéo de l’artiste suédoise Anna Berndtson, Nude with… Bergman, sera visible tout au long de la rétrospective.
Tous les films sont en version originale sous-titrés anglais.
Malik Berkati
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