Le Théâtre du Loup accueille La Compagnie Volodia qui propose Le Prix Martin, d’Eugène Labiche
La création de La Compagnie Volodia invite à découvrir Le Prix Martin, une pièce d’Eugène Labiche, auteur connu pour ses vaudevilles qui portent un regard à la fois facétieux, audacieux et taquin sur la société.
Le Prix Martin dépeint la paisible existence de Ferdinand Martin qui, avec son ami Agénor Montgommier, passe son temps à jouer aux cartes (le bésigle). Les deux amis « sont sexuellement en retraite » et aspirent à être tranquilles. Mais, depuis trois ans, la femme de Ferdinand, Loïsa le trompe avec Agénor car son mari est trop tranquille et ronfle. Soudain, la sérénité de l’existence du bourgeois Ferdinand Martin est bouleversée par l’arrivée de son exalté de cousin mexicain, Hernandez Martinez qui lui révèle qui est l’amant de sa femme et le pousse à laver son honneur. Ferdinand, tout à son dépit, décide d’emmener tout ce petit monde en Suisse. Car c’est là qu’il se propose de mettre à exécution sa vengeance en poussant l’amant de sa femme dans un gouffre effrayant : les chutes de l’Aar. Osera-t-il le faire ?
De fil en aiguille, comme Eugène Labiche sait élaborer ses intrigues, le public découvre une succession truculente de quiproquos et d’imbroglios, de France en Suisse, des gorges de l’Aar à Chamonix en … Suisse (sic !).
Peut-être moins connue du public que certaines pièces d’Eugène Labiche comme La poudre aux yeux, Les Circonstances atténuantes, L’Homme de paille ou Le Major Cravachon, plus fréquemment proposées, Le Prix Martin regorge d’ironie et d’agilité dramatique qui permet à Eugène Labiche de fustiger de manière savoureuse la figure du bourgeois.
Composée dix ans après la mort d’Edouard Martin, collaborateur d’Eugène Labiche dans Le Voyage de Monsieur Perrichon, entre autres, cette pièce distille constamment un humour délectable et efficace que Nathalie Cuenet réussit à sublimer par l’excellent jeu, très dynamique, des comédiens de la Compagnie Volodia, mettant à l’honneur l’énergie et la pertinence d’une œuvre qui n’a pas pris une ride.
Dans cette pièce qui décrit les mœurs d’une bourgeoise et ses travers, Nathalie Cuenet prend un immense plaisir à mettre en scène le ridicule et le cocasse des situations, les manipulations effrontées et les répliques irrésistibles; le plaisir de la metteure en scène est palpable dans le jeu des comédiens – Felipe Castro, Etienne Fague, Jean-Paul Favre, Thierry Jorand, Julia Portier, Christian Scheidt, Barbara Tobola, Adrien Zumthor – faisant mouche auprès du public.
Nathalie Cuenet rend un vibrant hommage à l’écriture d’Eugène Labiche et à la mécanique comique huilée de son style, magnifiant l’esprit espiègle qui imprègne Le Prix Martin, Eugène Labiche dépeint avec une vive cruauté et des répliques féroces la virevoltante valse des désirs qui renouvelle le triangle amoureux, le dotant de succulentes facéties et de fantaisie salutaire.
Basée sur l’adultère, l’intrigue de la pièce renverse la perspective en bouleversant les codes et en amenant le comique du côté des messieurs : le cocu se retrouve dans une telle situation non par la duperie de sa femme mais par celle commise par son meilleur ami.
Les thématiques épinglées dans cette comédie comme l’usure du désir, de l’homosexualité, de la liberté des femmes de disposer de leur corps et la masculinité amène le public à se régaler d’un texte qui allie tendresse, humour et burlesque. La pièce pose des questions qui traversent les âges et interroge sur l’amour et le couple, mais « aussi sur le genre et la sexualité à travers le lien étroit ».
Cette comédie en trois actes d’Eugène Labiche, créée au théâtre du Palais-Royal à Paris le 5 février 1876, a conservé une incroyable modernité. À l’époque, Flaubert, l’auteur de Bouvard et Pécuchet, a fort apprécié cette pièce qu’il qualifia de « bijou » et dont le dénouement est un « chef-d’œuvre d’originalité et de profondeur ». Pourtant, la comédie ne dépassa pas les vingt représentations. La création de la Compagnie Volodia permet donc d’apprécier « un théâtre jouissif, d’une comédie sans intention psychologisante, ni morale, fondée sur un comique de situations », comme le fait remarquer Nathalie Cuenet.
À l’instar de la musique et en résonance à la pièce, la metteure en scène a choisi de conserver les codes du théâtre classique dans le premier acte qui présente la géométrie du salon bourgeois et les tapisseries. À mesure que la pièce se déroule, l’espace se déconstruit et devient plus abstrait. Dans le deuxième acte, le paysage fait son apparition, le troisième entraîne le public au cœur des sapins, de la neige et du brouillard, qui transcrivent les émotions des personnages.
Labiche demeure résolument moderne et reflète une fresque méticuleuse de la société par les messages livrés dans ses comédies dont le rire et la fantaisie cachent une observation âpre et virulente de ses contemporains comme de l’humanité en général.
Le Prix Martin, qui se joue depuis le 3 février, sera à découvrir jusqu’au 19 février au Théâtre du Loup, à Genève, partira ensuite en tournée les 23 et 24 février : Théâtre Benno Besson (Yverdon-les-Bains), le 2 mars : Le Reflet (Vevey) et les 9 et 10 mars : Nuithonie (Fribourg).
Firouz E. Pillet
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