Locarno 2019 : A Febre, de Maya Da-Rin, plonge les spectateurs dans la forêt amazonienne et la question identitaire indigène
Le premier long métrage de la réalisatrice brésilienne Maya Da-Rin , décrit avec justesse et de l’intérieur la situation d’une communauté autochtone d’Amazonie contrainte d’émigrer vers de grands centres urbains, en l’occurence Manaus. La caméra de Maya Da-Rin suit Justino, un homme d’une quarantaine d’années, issu du peuple indigène Desana, qui travaille comme agent de sécurité dans le port de Manaus. Alors que sa fille se prépare à étudier la médecine à Brasilia, Justino attrape une mystérieuse fièvre.
Ce premier long métrage de Maya Da-Rin brosse avec une précision anthropologique le portrait de Justino, déchiré entre son travail qui l’oblige à vivre dans la ville portuaire de Manaus et l’envie de retourner dans son village amazonien d’origine. D’ailleurs, lors des repas en famille avec son frère, sa belle-soeur, Justino raconte ses rêves qui semblent le rappeler à ses origines et à ses ancêtres.
Co-produit par la productrice et réalisatrice allemande Maren Ade, A Febre (La fièvre) concourt en compétition pour le Pardo de Oro au Festival de Locarno.
Dès la séquence d’ouverture, Maya Da-Rin plonge les spectateurs dans une atmosphère nocturne singulière, emplie de sons et de bruits provenant de la jungle toute proche, faisant entendre au public ce qu’il ne voit pas dans une atmosphère sonore hypnotique. La caméra se pose d’abord sur le visage du protagoniste, qui se tient immobile, puis la caméra agrandit le champ de vision en reculant, offrant une vue d’ensemble du site industriel sur lequel Justino effectue ses gardes. Par le truchement de ce mouvement de caméra, la réalisatrice crée un univers double : celui du protagoniste indigène, proche de ses terres d’origine, et celui de monde blanc, industrialisé et déshumanisé.
A Locarno, la réalisatrice a confié que c’est lors du tournage de deux documentaires en Amazonie que l’idée de ce long métrage est né :
En Amazonie j’ai rencontré des familles autochtones qui avaient quitté leurs villages forestiers pour vivre en ville. J’ai fini par me rapprocher d’une de ces familles et c’est notre relation qui a déclenché le projet. Donc, d’une certaine manière, mon point de départ est basé sur des histoires vraies. Mais ils m’intéressent surtout parce que c’étaient des histoires de personnes que j’ai peut-être rencontrées au cours de mes activités quotidiennes. Nous sommes tous conscients de la propension du cinéma à explorer les peuples autochtones et à les percevoir à travers un prisme romantique et positiviste, en tant que vestiges de ce que les cultures occidentales ont été dans le passé et non en tant que sociétés complexes contemporaines.
Il a fallu six ans de travail à la réalisatrice et d’innombrables voyages à Manaus avant de pouvoir commencer le tournage. C’est sans doute grâce à cette relation privilégiée que Maya Da-Rin a pu avoir accès à l’univers encore préservé des cultures amérindiennes, à leurs traditions et à leurs contes immémoriaux.
Lors d’une réunion familial, Justino relate son rêve à ses proches : l’histoire d’un homme qui vit au coeur de la forêt amazonienne parmi les singes. Comme un conte immémorial que les ancêtres lui transmettraient par le biais d’un rêve, Justino se sent rappeler auprès des siens, auprès de ses sources, auprès de la terre de ses ancêtres. Pendant le même repas, la télévision locale annonce qu’une créature tuerait des animaux dans la région. Un pauvre cochon aurait été retrouvé baignant dans son sang. Qui a commis ce crime ? Une bête de la forêt ? Un homme ? Quel être se cache dans la jungle, dans les rêves angoissants que fait Justino ou dans son étrange fièvre ?
Ces nombreux questionnements amènent Maya Da-Rin à interroger l’identité indigène, sa place constamment remise en question au sein de la société brésilienne et le déracinement. Plusieurs scènes rappelle la triste condition des peuples autochtones, ces populations indigènes dont les gouvernements successifs ont bafoué l’exstence, des populations contraintes à quitter leur milieu d’origine pour tenter de survivre dans la « jungle » urbaine amené par les hommes blancs, les colons qui rappellent sans cesse aux Indigènes leur condition comme cette doctoresse qui dit à Justino quand il consulte pour sa fièvre : « Vu votre condition … vous êtes indigène …. ». Ou encore ce nouvel empoyé, fraîchement arrivé dans la région, qui commence à entretenir des échanges courtois avec Justino qui lui explique le cahier des charges de leur travail. Puis, ce nouveau collègue tient des propos teintés de racisme, voire de xénophobie, le nommant « l’Indien », des propos auxquels Justino a la sagesse de ne pas répondre, conservant une dignité naturelle,
A Febre est le genre de film qui se découvre lors de la projection et qui se prolonge par la réflexion qu’il suscite, abordant des questions à la fois universelles et brûlantes d’actualitété, d’autant depuis l’élection de Jair Bolsonaro .
Firouz E. Pillet, Locarno
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