Locarno 2021 Compétition internationale : Leynilögga (Cop Secret) Hannes Þór Halldórsson – Une parodie de film de genre jubilatoire !
Quelle curiosité ce Leynilögga (Cop Secret) à Locarno! Tout d’abord, il a été réalisé par le gardien de l’équipe nationale de football islandaise ce qui déjà en fait un objet marketing particulier. Puis sa présence en compétition internationale plutôt que pour la Piazza Grande et son écran géant sur lequel sa dimension d’action aurait pu s’exprimer pleinement. Il s’avère pourtant que sa sélection en compétition est une réussite, le film donne un grand bol d’air au concours traversés par des thématiques assez lourdes et réjouit les sens cinématographiques.
Loin des parodies prétentieuses et bouffies de velléités de second degré tellement apparent qu’elles finissent par s’auto-parodier, Leynilögga offre un spectacle réjouissant, divertissant et intelligent, dans lequel le comique côtoie l’humour tout en abordant par la bande des sujets de société de manière légère et décalée qui touche dans le mille ! Cette comédie d’action est un festival de références des films et séries d’action convoquant toute l’iconographie, les saillies visuelles et sonores associées au genre. Jamais le réalisateur islandais n’essaie de nous mystifier, il pratique même l’auto-ironie.
En une minute il a brisé toutes les règles, on n’est pas dans un film !
Se plaint un policier psychologue à la cheffe de la police.
Il s’amuse et nous entraîne dans son divertissement qui n’a pas pour but de se moquer de ces références, allant d’Une Journée en enfer (Die Hard 3) à Miami Vice, en passant par James Bond, Batman ou même L’Inspecteur Harry, mais de les sublimer.
C’est un buddy movie à trois, avec dès le départ, le duo improbable de personnalités opposées : le meilleur flic de Reykjavik, selon la télévision et lui-même, Bússi (Auðunn Blöndal), toujours dans la compétition, usant de violence disproportionnée, ne reculant devant rien pour mettre encore un fait d’arme sur son tableau de chasse et son coéquipier Klemenz (Sverrir Þór Sverrisson), lourdaud et souffre-douleur de Bússi. Lorsqu’une série de casses étranges – rien n’est jamais volé – dans les banques de Reykjavik se multiplie, les deux compères se mettent à la chasse de la femme sur la moto, Stefanìa (Vivian Olafsdottir), qui parvient à sortir de leur juridiction. C’est ici qu’apparaît, le sonny boy Hörður (Egill Einarsson),à la virilité métrosexuelle, suintant l’assurance de soi décomplexée. Lui aussi est considéré comme le meilleur policier de l’autre partie de la ville. Ces deux rivaux vont être obligés de travailler ensemble, sous la coupe de la cheffe de la police interprétée avec conviction par l’actrice la plus connue du casting, Steinunn Ólína Þorsteinsdóttir (Vargur, Trapped). Ici aussi, tout oppose les deux flics : Hörður est riche – il joue à la bourse –, est bien dans sa peau et sa vie, fait preuve de style dans ses tenues et son habitat et se décrit comme pansexuel. Bússi est toujours fauché – il joue aux paris sportifs –, mange des restes de pizzas dans sa tanière, mal fagoté, mal rasé, mal dans sa vie et dans sa peau, il se refoule depuis toujours dans les grands axes de l’hétérosexualité, jusqu’à ce qu’il n’y arrive plus sans vraiment prendre conscience pourquoi. Le révélateur viendra de sa rencontre avec Hörður.
Hannes Þór Halldórsson joue avec les stéréotypes de genre cinématographiques, le montage nerveux et saccadé, la bande-son tonitruante servant d’impulsions narratives, mais, au contraire des productions lourdingues qui prennent le même point de départ, il ne pousse pas la parodie sur les sujets sociaux sous-jacents. Il les met, au contraire, en valeur et inclut ces éléments du récit dans une normalité éclairée.
Si Cop Secret est le premier long métrage de Hannes Þór Halldórsson – oui, c’est bien celui qui est entré dans l’histoire footballistique en arrêtant un penalty de Lionel Messi à la Coupe du monde en 2018 en Russie, la réalisation ne lui est pas étrangère. Avant de se décider pour une carrière de gardien professionnel, il avait déjà réalisé des spots publicitaires et des vidéo-clips. À Locarno, où il est venu entre deux matchs présenter son film avec son équipe, il a confié :
J’ai 37 ans et bientôt je vais ranger mes gants au placard ; après ma carrière de footballeur professionnel, je me concentrerai sur le cinéma. Le tournage n’était pas facile, cela m’a pris beaucoup d’énergie car si une grande partie de la réalisation a eu lieu dans l’entre-saison, les tournages en extérieur se sont fait pendant la saison. Parfois je devais aller m’entraîner entre les prises ou, directement rentré d’un match international, me rendre sur le plateau !
La genèse du film n’est pas banale également :
J’ai eu l’idée du film il y a 10 ans lors d’un concours pour un comedy show qui consistait à réaliser une bande-annonce d’un film imaginaire. Dès le début, Auðunn Blöndal et Egill Einarsson était de la partie. Comme notre réalisation a beaucoup plu, nous l’avons développé pour devenir ce long métrage.
Dans les films d’actions comiques étasuniens auxquels vous faites référence, il n’y a pas de sous-texte, en revanche, vous parvenez, en utilisant le genre, à tout de même imprimer une touche nordique qui, par la bande, touche des sujets de société sans forcer la narration, par exemple de prendre comme charge de suspense qui traverse tout le film ce match de qualification pour la Coupe du monde de l’équipe féminine d’Islande contre l’Angleterre…
L’équipe féminine de football est très importante, effectivement. Elle a beaucoup de succès au niveau international, elle en a eu même bien avant celle des hommes, on a tendance à l’oublier, et les inclure dans l’histoire contrebalance le côté macho du film. Notre priorité était de faire un film drôle et divertissant pour le public islandais qui n’a pas l’habitude de ce genre de production nationale. Mais nous ne voulions pas en faire un film à sketches. Nous avons donc opté pour ce choix créatif d’aborder par la marge ces sujets. La comédie nous permet d’exploser des sujets à côté du thriller. En cela, j’ai énormément été aidé par mes deux co-scénaristes, Nína Petersen et Sverrir Þór Sverrisson qui ont ajouté de l’épaisseur aux personnages et à l’histoire.
L’acteur Auðunn Blöndal ajoute :
On est très surpris d’être là, à l’international, nous avons fait ce film en pensant au public islandais. On ne se prend pas au sérieux et on n’en revient pas d’être ici, à Locarno !
Hannes Þór Halldórsson pousuit :
Cela est incroyable que vous, le public international, soyez connectés à ce film, ses ressorts, son humour ! C’est pour nous la cerise sur le gâteau de cette aventure pensée d’abord pour le public islandais.
Auðunn Blöndal renchérit :
Les Islandais n’ont pas l’habitude de voir des flics avec des armes et qui tirent dans tous les sens. Normalement, quand ils rencontrent des policiers, ils les voient plutôt nourrir les chats qui se sont perdus…
Concernant le sujet de l’homosexualité :
Ce qui était intéressant à traiter, c’est de voir comment Bússi lutte contre ses propres préjugés enfouis en lui. L’univers du football est également un monde très fermé à ce sujet et si on peut éclairer un peu cette thématique, c’est bien !
Auðunn Blöndal donne également un exemple de préjugés venant de la presse :
Hier, un journaliste m’a demandé si cela était difficile de jouer un homosexuel quand on ne l’est pas. Je lui ai répondu que non, je ne suis pas flic non plus !
Pour conclure, cette phrase – même si elle n’est pas tout à fait vrai, ici comme ailleurs, mais qui devrait l’être, sur ce sujet comme sur d’autres – lancé par Hörður à Bússi qui s’inquiète que l’on découvre leur relation :
« On est en 2021. Tout le monde s’en fout ! »
De Hannes Þór Halldórsson; avec Auðunn Blöndal, Egill Einarsson, Sverrir Þór Sverrisson, Steinunn Ólína Þorsteinsdóttir, Vivian Olafsdottir, Björn Hlynur Björnsson; Islande; 2021; 98 minutes.
Propos recueillis par Malik Berkati, Locarno
Pour le souvenir du moment de gloire mondial de Hannes Þór Halldórsson:
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