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Locarno 2021 : Mis hermanos sueñan despiertos (My Brothers Dream Awake, Mes frères rêvent éveillés), de la cinéaste chilienne Claudia Huaiquimilla, immerge le public dans l’univers des centres de détention pour mineurs, entre humanité, fraternité et rébellions

Le deuxième long métrage de Claudia Huaiquimilla, qui avait réalisé Mala junta (2016) est un hymne à la fraternité, à la résilience, à l’empathie mais aussi à la révolte face à une justice qui tarde à se faire et une iniquité flagrante.

Mis hermanos sueñan despiertos (My Brothers Dream Awake) de Claudia Huaiquimilla
Image courtoisie Locarno Film Festival

Le film s’ouvre sur deux adolescents, adossés à un mur, qui parlent d’avenir et de projets. Puis le plan s’élargit et les spectateurs comprennent que le mur est l’enceinte d’un centre de détention pour mineurs.
Ángel et son jeune frère Franco sont dans ce centre de détention pour mineurs depuis un an et n’ont même pas de date de procès. L’attente interminable et l’incertitude quant à la durée de leur incarcération leur pèsent de plus en plus et le rêve récurrent de l’évasion apparaît comme la seule option pour retrouver la liberté. Les plus âgés protègent et sermonnent les plus jeunes, contenant leurs pulsions. Dans ce centre de détention juvénile sévissent les matons, d’une immense brutalité, mais les adolescents sont aidés par la bienveillance et l’affection d’une éducatrice et enseignante (Paulina García) qui les stimule et provoque même des rencontres inattendues, d’où effleure une certaine tension sexuelle, lorsque la « Tía »(la Tante), comme les adolescents la surnomment, les amène à rencontre les adolescentes, détenues dans une autre maison.

Dès que ces jeunes hommes peuvent interagir avec des filles, prisonnières elles aussi, un semblant de vie normale prend forme : échanges de mots doux, flirts, rencontres secrètes dans les dortoirs, boutades grivoises des co-détenus lors des douches et des brossages de dents. L’éducatrice consacre sa vie à ces jeunes en lesquels elle croit et cherche à les motiver à étudier et à croire en leur avenir comme c’est le cas pour Ángel qu’elle pousse à postuler pour l’université.

À l’instar d’une documentariste, Claudia Huaiquimilla immerge les spectateurs dans ce centre de détention, au sein de cette communauté de jeunes détenus que le public suit en classe, lors des cours oud durant les épreuves, au plus proche des corps et des visages … Et des disputes qui éclatent fréquemment.

Parfois, la caméra de Claudia Huaiquimilla nous entraîne dans la quiétude des forêts avoisinantes dans des scènes oniriques où Ángel et son jeune frère Franco se voient se promenant, s’amusant à imiter les chants des oiseaux qui leur répondent. Comme dans tout milieu carcéral, il y a les visites des proches : Ángel et Franco retrouvent leurs grands-parents, déjà âgés, qui ne manquent aucun rendez-vous, contrairement à leur mère qui a cessé de venir et de prendre de leurs nouvelles.

— Mis hermanos sueñan despiertos (My Brothers Dream Awake) de Claudia Huaiquimilla
Image courtoisie Locarno Film Festival

Claudia Huaiquimilla a su montrer avec justesse et authenticité la violence des conditions de ces centres de détention juvénile,  un milieu où l’entraide, la solidarité, la fraternité et la résilience permettent de survivre face à des gardiens toujours prêts à la bastonnade et à une répression rapide et violente. Insérant très régulièrement des images issues des rêves et des projections d’Ángel, Claudia Huaiquimilla amène ainsi les spectateurs à éprouver l’angoisse permanente ressentie par les jeunes détenus, une angoisse exacerbée lors l’arrivée d’un autre garçon plus rebelle et impulsif qui alimente la rébellion des autres garçons et fomente des plans de fuite.

Ce deuxième long métrage de la réalisatrice -d’origine mapuche – un groupe ethnique et peuple autochtone du Chili et d’Argentine formant plusieurs communautés connues également sous le nom d’Araucans – Claudia Huaiquimilla aborde un sujet difficile mais nécessaire sans jamais sombrer dans des nombreux lieux communs du sous-genre carcéral adolescent. Suivant le quotidien routinier d’Ángel, de Franco et de leurs comparses, Claudia Huaiquimilla réussit à brosser un portrait sensible et rigoureux à la fois, rendant un vibrant hommage à cette jeunesse chilienne, certes délinquante, mais meurtrie, violentée, oubliée derrière les murs de ces prisons pour adolescents.

En effet, le générique de fin nous apprend que le film est inspiré de plusieurs faits réels :

« Dédié à dix jeunes qui sont morts en 2077 au Centre de détention SENAME de Puerto Montt et aux 1796 jeunes qui sont morts entre 2005 et 2020 dans les centres du réseau SENAME à la charge de l’État chilien ».

Ces faits véridiques sont mis en relief de manière poignante par les performances d’Iván Cáceres, César Herrera, Paulina García, Andrew Bargsted, Julia Lübbert, Sebastián Ayala, René Miranda, Luz J qui ont remarquablement incarné la fraternité et la cohésion d’un groupe solide d’amis avec qui ils passent leurs journées à partager des rêves de liberté. Claudia Huaiquimilla révèle avec brio cette camaraderie et cet esprit d’équipe dont l’équilibre fragile se brisera avec l’arrivée d’un jeune homme rebelle qui offre une échappatoire, peut-être illusoire, de retrouver sa liberté pour réaliser ses rêves.

À Locarno, Claudia Huaiquimilla a souligné son intention :

« L’un des outils les plus puissants du cinéma est de donner à une personne un accès privilégié au ressenti d’une autre personne très différente, de générer de l’empathie. C’est de cela que parle cette histoire. J’espère que les téléspectateurs entrent dans ce monde sans préjugés, en observant les liens de fraternité qui peuvent naître dans les endroits les moins attendus ».

Présenté en première mondiale au Festival international du film de Locarno dans la compétition Cineasti del presente, en présence de la réalisatrice, Mis hermanos sueñan despiertos sortira en octobre sur les écrans chiliens et, on l’espère vivement, sur les écrans suisses ensuite !

Firouz E. Pillet, Locarno

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Firouz Pillet

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