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Locarno 2023 : Le premier long métrage de la cinéaste catalane Laura Ferrés, La imatge permanent (L’image permanente), concourt pour le Léopard d’or mais sème la confusion dans l’esprit des festivaliers. Rencontre

Dans le sud rural de l’Espagne, Antonia, une mère adolescente, disparaît au milieu de la nuit. Cinquante ans plus tard et bien plus au nord, Carmen, directrice de casting introvertie, se donne pour mission de trouver une personne « normale » pour participer à une campagne politique et aussi cherche des gens pour partager ses souvenirs en arrivant dans une nouvelle ville. Au cours de ses recherches, elle rencontre Antonia, dont l’impulsivité s’immisce dans la solitude de Carmen qui n’a plus que sa vieille mère sénile pour compagnie.

La imatge permanent de Laura Ferrés
Image courtoisie Festival du film de Locarno

María Luengo, Rosario Ortega, Saraida Llamas sont au casting; ne cherchez où vous les avez vues : ce sont des actrices débutantes qui jouent les rôles principaux, ce qui confère une certaine authenticité au film qui comporte une forte dimension du documentaire.

Co-écrit par Ferrés avec ses collègues cinéastes Ulises Porra et Carlos Vermut, le premier long métrage de la cinéaste catalane sème rapidement la confusion et semble un puzzle aux pièces éparses que le public devra tant bien que mal recomposer. Le labeur sera ardu et l’on peine à emboîter les pièces de ce puzzle éclaté tant la réalisatrice lance de nombreuses pistes qui ne paraissent pas se croiser si facilement. La caméra de Laura Ferrés aligne les visages de personnes qui n’ont jamais existé (à moins que ?), les confondant dans un fondu enchaîné troublant, puis fait surgir une figure de fantôme sur une photographie, superposant deux images. S’il existe des films où, au fil du récit, de précieux éléments surviennent pour faciliter la compréhension de l’intrigue, ici, c’est tout le contraire !

La réalisatrice semble vouloir dire que les vies humaines s’assimilent à une série d’histoires et de photographies, qui s’entrelacent entre elles à notre insu pour construire une histoire collective à travers les générations. Il semblerait que chez Laura Ferrés, les histoires qui construisent l’humanité et créent les liens se transmettent non par le verbe mais par l’image, sur les traits des visages des personnes. L’élément le plus compréhensible de La imatge permanent semble être l’exploration des zones rurales et populaires d’Espagne.
Le récit que Laura Ferrés propose sur la condition humaine est ardu, compliqué, souvent abscons et, de manière générale, totalement imperméable tant les moments complexes se succèdent et se superposent sans discontinuer dans un schéma très (trop?) dichotomique.

Laura Ferrés s’inspire de sa famille maternelle pour aborder la vie de migrants arrivés en Catalogne depuis l’Andalousie depuis le milieu du siècle dernier. Cependant, la cinéaste catalane insiste sur le fait que ses films ne sont pas autobiographiques. Rencontre.

— Laura Ferrés
© Óscar Fernández Orengo

Le lieu du film, El Prat de Llobregat, où vous avez vécu, semble un protagoniste à part entière : était-ce votre intention ?

Oui, c’est intentionnel. Avant, j’ai réalisé un court métrage qui s’appelle Los desheredados et qui est interprété par mon père face à la fermeture de son entreprise lors de crise de 2008. J’ai tourné ce court à El Prat de Llobregat et j’y suis retourné pour tourner ce long métrage. L’idée que ces divers films fassent partie d’une série me plaît non pour une question sentimentale, parce que j’ai grandi dans ce lieu, mais pour une vision anthropologique et voir comment un lieu change au fil du temps.

Vous parlez d’anthropologie, mais votre film a aussi un aspect sociologique : on y voit de nombreuses personnes et la protagoniste a la mission de trouver des « personnes « authentiques » mais on ressent dans ce terme « authentique » quelque chose de dépréciatif, authentique signifie pour la directrice de casting des personnes pauvres, voire en marge de la société : en ce sens, le film a une dimension sociologique ?

Oui, cela m’intéresse beaucoup que la sociologie, l’anthropologie rejoignent la fiction, trouver un équilibre et inclure des éléments réels dans une fiction, car faire un film est l’occasion de conserver des choses qui, sinon, se perdraient comme, par exemple, les chansons républicaines de ma grand-mère. Mon film essaie de faire le portrait de ces personnes qui vinrent en Catalogne d’autres régions d’Espagne, comme de l’Andalousie par exemple, pour trouver du travail. C’est le cas de ma grand-mère qui m’a élevée. La imatge permanent est liée aux chansons que j’entendais enfant : ma grand-mère était pauvre, elle chantait très bien mais elle ne pouvait pas s’y consacrer, car elle devait travailler dans les champs et s’occuper de ses très nombreux petits frères. J’ai grandi en entendant ces chansons la majeure partie était des couplets et des chansons républicaines issues d’un contexte politique particulier. Aujourd’hui, ces chansons me fascinent parce que ma grand-mère n’aimait pas parler de ce qui s’était passé pendant la guerre civile ou après la guerre, mais elle le faisait à travers ces chansons. Par chance, ma mère et moi avons enregistré ma grand-mère avant qu’elle ne perde la mémoire parce qu’elle a eu Alzheimer. Je dis « par chance » car ces chansons républicaines ne se trouvent pas de nos jours sur internet. En ce sens, un film est la possibilité d’inclure ces éléments réels. Cela me fascine de pouvoir créer un monde avec ses propres règles.

Par rapport à ces chansons républicaines que chantait votre grand-mère, c’est un élément très personnel, familial, intime mais qui appartient aussi au patrimoine de l’humanité ?

C’est exact ! C’est privé, mais j’aime le partager avec autrui parce que c’est un savoir qui va se perdre.

Que ce soit dans vos courts métrages comme dans ce premier long métrage, j’ai l’impression que votre famille, vos proches sont une grande source d’inspiration ?

J’aime prendre des éléments de ma réalité personnelle, de parler de mon père et de ma grand-mère comme points de départ, et les mouler à travers la fiction. Cela ne m’intéresse pas de faire des films autobiographiques mais peut-être un jour… Un film est une opportunité de connaître d’autres personnes. Il me semble que l’on passe déjà assez de temps avec soi-même, vingt-quatre heures par jours, trois-cent-soixante-cinq jours par an pour un certain nombre d’années selon la vie de chacun…

La protagoniste de mon film doit chercher des personnes authentiques pour une campagne politique. Il y a quelques années, j’ai travaillé comme directrice de casting et je me suis rendue compte qu’une épreuve de casting est le portrait d’une personne. À partir de l’accumulation d’épreuve de casting, on peut avoir un portrait de la société.

La imatge permanent de Laura Ferrés
Image courtoisie Festival du film de Locarno

Dans le film, il y a une série de vignettes, de portraits de personnes, des personnes inconnues qui donnent une image plus large du monde ?

Tout à fait ! Je suis intéressée à représenter la périphérie géographique en utilisant le type de personnes qui n’apparaissent normalement pas à l’écran. Ces vignettes, le titre, L’image permanente, se réfère à nos mémoires que nous avons gravées et que l’on ne peut pas oublier, qui revient à nous quand on s’y attend le moins. Mon film parle aussi de l’éternel retour, c’est-à-dire que nous sommes programmés à ce que les choses se répètent de manière cyclique. Cela me paraissait intéressant que n’importe quelle séquence puisse s’expliquer avec un plan fixe, C’est une façon d’associer un plan fixe avec une mémoire qui est en nous et qu’on ne peut pas enlever.

Ces vignettes permettent la construction d’une mémoire commune ?

C’est merveilleux si mon film donne cette impression. Ces personnes sont reliées même si elles ne s’en rendent pas compte. Le film est très structuré dans ce sens, par exemple la mise en scène pour la pose d’une photographie ensemble. Les acteurs récitent leurs dialogues de manière très peu naturelle, et sur toute sa longueur, le film est doté d’un schéma visuel bien étudié. Je me rends compte que je suis de plus en plus intéressée à construire mon propre univers. En ce sens, il y a une volonté de créer une volonté commune.

Vous avez parlé de votre grand-mère qui a quitté son Andalousie natale pour venir travailler en Catalogne dans un contexte politique difficile : dans votre film, on entend parler catalan, castillan classique et castillan avec l’accent andalou et même avec l’accent argentin : cette diversité d’accents était importante pour donner plus d’universalité ?

Oui, comme mon film traite des Andalous qui vinrent en Catalogne pour travailler dans la période post guerre, on parle donc catalan et castillan. Comme vous avez dit, le castillan est celui d’Andalousie avec un accent particulier, mais aussi pour le Catalan, c’est un catalan particulier qui n’est pas celui que l’on entend à la télévision catalane publique. Pour des motifs économiques, le film devait être parlé, en partie, en catalan. Cela a été difficile de trouver une personne qui puisse s’exprimer facilement dans les deux langues et je crois que cela est dû au fait que ces personnes sont justement mal représentées dans les fictions : elles ont honte de s’exprimer en catalan. Je pense que le film est l’occasion de rompre ce tabou linguistique. Je traite de la génération de ma grand-mère, cela fait longtemps que ces migrants sont venus en Catalogne. De nos jours, la migration a changé et les gens viennent d’autres pays, d’Amérique du Sud, d’où le personnage qui parle avec accent argentin. Cela m’a paru intéressant de l’inclure pour parler du mouvement migratoire actuel.

Vous avez parlé d’acteurs non professionnels : comment avez-vous travaillé avec ces personnes ?

Pour le casting, Cristina Pérez et Sonia Abella ont eu très peu de temps pour trouver les personnes, très nombreuses, en seulement en trois mois. Par chance, on a trouvé Rosario, qui interprète Antonia, qui travaille dans un bar. Au début, elle a cru que ce n’était pas sérieux et il a fallu la convaincre. Ces personnes se demandent pourquoi on les choisit, elles se demandent ce qu’elles ont de spécial par rapport à d’autres. Rosario aime faire du cinéma et veut continuer dans cette voie. Quant à Mara, qui interprète Carmen, on l’a rencontrée quand elle sortait d’un rendez-vous chez le vétérinaire avec son chat malade. Pour moi, le casting est un des meilleurs moments du film : ces visages, ces accents sont uniques pour atteindre un réalisme social.

Comment avez-vous travaillé sur la lumière ?

La directrice de la photographie, Agnès Piqué Corbera, a déjà travaillé avec moi sur mon court métrage Los desheredados. On s’entend très bien et on a tenté d’améliorer notre façon de raconter des histoires. C’est très important pour moi d’être très précise. Cela fait plus de sens d’avoir moins de plans pour chaque scène. Il y avait de la lumière artificielle mais aussi de la lumière naturelle. Finalement, il suffit de savoir à quelle heure il est préférable de tourner une scène pour ce que l’on souhaite raconter, car je crois en l’idée que « que le moins est le plus ».

Pour éviter des effets spéciaux ?

Pour ‘être sincère, nous avions peu de moyens pour faire ce film que j’ai réalisé essentiellement avec mon argent. De cette façon, on se questionne continuellement sur ce qu’on peut se permettre ou non.

Comment vivez-vous le fait que votre film soit présenté dans le Concorso internazionale au Festival de Locarno ?

Je me sens très chanceuse d’être à Locarno. Jusqu’à ce que le film soit montré dans un festival, il n’est pas fini. Pour moi, c’est important de partager un film avec le public. C’est une compétition pour laquelle j’ai un respect particulier, le simple fait d’être sélectionné par un festival qui maintient une attitude aussi exquise et cohérente envers le cinéma d’auteur est en soi une approbation de ma sensibilité artistique.

Firouz E. Pillet, Locarno

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Firouz Pillet

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