Locarno 2025 : Emma Thompson a reçu le Prix du Leopard Club Locarno 2025 – Rencontre avec le public
Ce vendredi 8 août 2025 au soir, sur la Piazza Grand, l’actrice et scénariste britannique a reçu le Prix du Leopard Club avant de rencontrer aujourd’hui le public du Festival du film de Locarno lors d’une discussion publique au Forum @ Spazio Cinema, devant une salle comble.
© Edoardo Nerboni
Emma Thompson envoûte Locarno
Attendue par une foule accueillie – une fois n’est pas coutume – par des agents de sécurité aux muscles saillants, Emma Thompson a été saluée par une ovation nourrie et une clameur admirative. Le directeur artistique Giona A. Nazzaro la présente et rappelle au public de ne solliciter ni dédicaces ni selfies après l’entretien. Polyglotte, l’artiste s’exprime aussi en italien et répond même à une question en français.
Un moment inoubliable
Animée en anglais par Manlio Gomarasca, la conversation permet à Emma Thompson, venue pour la première fois à Locarno, de retracer sa carrière. Saluant l’accueil chaleureux, elle s’exclame :
« Je n’oublierai jamais d’avoir vu mon film dans cette ambiance. C’est le plus beau festival auquel j’ai assisté. Je vous promets de revenir ! »
Évoquant la projection sur la Piazza Grande de The Dead of Winter, le thriller très attendu de Brian Kirk où elle tient le rôle-titre, elle poursuit :
« Quand je suis montée sur scène sous ce ciel étoilé face à un public si immense, j’ai failli avoir un anévrisme hier soir ! »
Tournage épique en Finlande
À propos du film, elle confie :
« Ils ont failli me tuer ! J’étais lessivée à la fin – dans le bon sens du terme. J’ai passé un mois en Finlande avant le tournage pour m’acclimater au froid polaire : une expérience unique. » Et d’ajouter : « Tourner près de la frontière russe, on sentait les tensions entre les pays. Plonger dans l’eau glacée après le sauna, comme le font les Finlandais·es, c’est un choc violent pour le corps et l’esprit. »
Destin artistique inattendu
Issue d’une famille d’artistes – son père était acteur-écrivain, sa mère comédienne –, elle ne se destinait pas à cette voie :
« Jeune, ce métier me semblait trop précaire. Je rêvais de devenir directrice d’hôpital après en avoir vu une avec de magnifiques chaussures ! (rires) »
Son déclic ?
« J’ai commencé par des sketches satiriques, comme sur Margaret Thatcher où j’espérais qu’on ne l’attrape pas « par des relations sexuelles » (rires), en pleine crise du sida. Une soirée, j’ai gagné 60 livres en solo avec mon micro. »
Humour et convictions féministes
L’artiste déploie son humour so british :
« J’ai écrit des sketches sur une personne sans expérience sexuelle inspirée d’une histoire victorienne… ce qui m’a menée à Raison et Sentiments ! »
Un film pour lequel elle reçut l’Oscar du meilleur scénario en 1996.
Féministe engagée, elle souligne devant sa fille (qui incarne son personnage jeune dans The Dead of Winter) :
« Nous sommes toutes des héroïnes ; nous évoluons dans un patriarcat. Ma grand-mère, employée de maison violée par son employeur, a gardé l’enfant mais n’a jamais été heureuse. Notre histoire familiale est tissée de traumatismes. »
Et de lancer, sous les applaudissements :
« On voit tant de films de 3h30 faits par et sur des hommes. J’en veux autant par et sur des femmes ! »
Une carrière exceptionnelle
Image courtoisie Locarno Film Festival / Ti-Press
Figure emblématique du cinéma britannique, Emma Thompson a mené une carrière exceptionnelle comme actrice, scénariste et productrice – en indépendant·e comme dans des blockbusters. En quatre décennies, elle a remporté Emmy, Lion d’or, Golden Globe, BAFTA et deux Oscars (meilleure actrice pour Howards End en 1993 ; meilleur scénario pour Raison et Sentiments en 1996). Unique à ce jour à avoir gagné la statuette comme interprète ET autrice.
L’écriture : un métier exigeant
« Écrire un scénario est très particulier », souligne-t-elle. « Pour Raison et Sentiments (d’après Jane Austen), j’ai produit 400 pages… au lieu de 100 ! Puis j’ai coupé, ajouté. Cela a pris cinq ans. » Tournant Beaucoup de bruit pour rien en Italie, elle se souvient : « On m’a dit que mon scénario était « trop chaleureux, trop italien » ! (rires) »
Sa collaboration avec Ang Lee (ne parlant pas anglais alors) fut marquante :
« À Taïwan, un·e cinéaste est un dieu ! Les acteur·rices n’osent rien demander. Quand Hugh Grant et moi avons suggéré de refaire une scène, Ang Lee, choqué, a dû s’allonger. On n’a plus jamais osé ! Mais c’est un collaborateur merveilleux. »
Rôles cultes
De Howards End (1992) aux sagas Harry Potter et Nanny McPhee, en passant par Love Actually (2003) ou Cruella (2021), ses rôles ont marqué des générations. Elle évoque des spectateur·ices en larmes après Love Actually (où son personnage découvre l’infidélité de son mari).
Sur Good Luck to You, Leo Grande (2022) :
« Nancy, mon personnage, a « tout bien fait » selon la société : études, mariage, enfants… Mais jamais connu d’orgasme. Veuve, elle se réapproprie son corps. Je me suis mise à nu littéralement ! Pour préparer le rôle, j’ai observé des Adam et Ève peints : nus mais détendus. J’aime cette quête de plaisir assumée. »
Hollywood vs Europe
Comparant les industries, elle préfère l’Europe :
« À Hollywood, il y a un fossé entre acteur·rices et équipe. Moi, collégiale, j’aime connaître l’historique des collègues. Là-bas, on ignore tout des technicien·nes. Je n’étais pas prête pour cela. »
Elle raconte une anecdote hilarante :
« Dans ma caravane sur Primary Colors (1998), Donald Trump m’appelle pour me proposer de le rejoindre dans une villa ! Croyant à une blague, j’ai répondu : « Comment puis-je vous aider ? » Il insiste : « Venez chez moi. » Je rétorque : « Je vous tiens au courant. » Mon divorce était dans les journaux : il cherchait une divorcée célèbre ! J’aurais pu écrire l’histoire américaine… (rires) »
Le jeune public : le must
Sur Harry Potter (où elle joue la prof Trelawney), elle plaisante : « Désolée pour les fans, j’ai peu tourné mais bien gagné ! (rires) » Puis rend hommage à son père, scénariste du Manège enchanté :
« Il écrivait pour les adultes… et les enfants ont adoré. C’est le meilleur public : ils gardent les films toute leur vie. Ce sont des adultes qui n’ont pas encore vécu autant. »
Concernant Nanny McPhee :
« Je ne l’ai pas écrite « pour les enfants » mais pour tout le monde. Ce personnage m’a réconfortée après la mort de mon père. J’aime sa magie et son apparence qui évolue avec les émotions qu’elle suscite. »
Le mot de la fin
Giona A. Nazzaro salue « une interprète qui imprègne chaque rôle d’une compréhension profonde du métier. Travaillant avec des auteur·rices varié·es, passant de Shakespeare à Harry Potter, elle n’a cessé de surprendre. »
Emma Thompson conclut philosophiquement :
« Certains films marchent, d’autres non sans raison. Comme Alone in Berlin (2016), sur un couple résistant durant la guerre… Ce qui compte, c’est le processus, pas le résultat. »
Propos recueillis par Firouz E. Pillet, Locarno
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