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L’ora legale (Ab heute sind wir ehrlich), la satire politique du duo Ficarra et Picone sort en Allemagne

Le film s’ouvre sur une petite ville imaginaire située en Sicile en pleine effervescence de campagne électorale. Gaetano Patanè, le maire sortant, rivalise d’astuces bien rôdées pour s’assurer sa réélection. Face à lui Pierpaolo Natoli, un professeur qui veut rompre avec la mauvaise gouvernance et rétablir un certain ordre citoyen dans sa ville. A ce tableau s’ajoute deux frères, mariés aux deux sœurs de Natoli, mais qui chacun soutiennent et font campagne pour un des deux candidats. Sans surprise, c’est sur ces deux personnages que se tisse la trame comique du film avec la figure classique du  bouffon – Salvatore Ficarra qui joue Salvo, le frère soutien de Patanè –  du cinéma italien, qui en fait des tonnes, qu’il faut parfois supporter avec patience mais qui dans sa fonction de révélateur des petitesses et tares collectives joue parfaitement son rôle, plus particulièrement ici celui de la girouette opportuniste, sans convictions, de parfaite mauvaise foi et malléable à la défense de son seul intérêt particulier. Inévitablement, l’affreux politicien corrompu et caricatural Patanè ressemble à Berlusconi tout à fait dans la norme de sa personnalité : A Pietrammare, entre autres,  les ordures jonchent le sol et ne sont pas ramassées, la ville est en sus polluée par une usine pétrochimique digne de Seveso ou de Bhopal, les automobilistes ne respectent aucune règle de la circulation – et surtout du stationnement, les habitants s’affranchissent de toute norme urbanistique et ceci avec la bienveillance active de leur maire. Mais, contre toute attente, la population, dans vraisemblablement un instant de grâce collective, exige du changement et élisent Natoli.
Le deuxième ressort comique s’enclenche ici, avec un maire intègre, qui instaure de nouvelles règles, impose la légalité et se retrouve confronté à l’incompréhension générale, allant de son beau-frère Salvo au curé du village – l’église deviendra même le camp de base de la contestation – , en passant par les édiles de Rome qui ont peur que cette « expérience » face boule de neige dans le reste du pays.

— Vincenzo Amato – L’ora legale (Ab heute sind wir ehrlich)
Foto mit freundlicher Genehmigung Kairos-Filmverleih

Le titre original renvoie à un double sens: il indique à la fois le retour à la légalité et le changement d’heure qui a lieu deux fois par an. L’élection a lieu justement au changement d’heure hiver/été et, comme un métronome de l’absurde, de nouvelles élections auront lieu au changement été/hiver, les citoyens ayant voulu le changement se révoltant contre la velléité légaliste inhérente; le cauchemar sémantique des habitants de Pietrammare devenant très rapidement le terme : les règles. Le changement oui, les devoirs citoyens non ! Ici les réalisateurs, qui jouent également les deux beaux-frères du maire honnête, poussent l’absurde jusqu’au bout dans une scène très drôle où les administrés faisant la queue pour voir le maire s’offusquent, s’insurgent même, du fait que Salvo soit empêché par les huissiers de les doubler pour voir son beau-frère.

— Salvatore Ficarra et Valentino Picone – L’ora legale (Ab heute sind wir ehrlich)
Foto mit freundlicher Genehmigung Kairos-Filmverleih

Il y a de nombreux  films satiriques et ironiques sur la situation politique italienne –  et qui ont du succès en Italie – pourtant, le système ne change pas, ou dans une direction qui n’augure rien de meilleur comme on peut le constater avec le gouvernement Conte dansant sur une jambe du Mouvement 5 étoiles fourre-tout et sur celle extrême-droitiste de la Lega Nord . La population semble prête à en rire, à rire d’elle-même également dans ses travers schizophréniques alliant volonté de justice et réflexes clientélistes, rire peut-être cathartique mais sans effet concret sur le système politique et citoyen. La satire semble bien être le dernier refuge pour parler d’un système sidérant de fonctionnement d’un pays faisant parti des 8 plus grandes puissances économiques mondiales, c’est certainement la partie la plus tragique de cette comédie quotidienne délétère. La réalité dépassant, selon l’adage, la fiction, un nouvel exemple nous en est ainsi donné : le bouffon des bouffons, Silvio Berlusconi, vient d’annoncer ce mois de janvier 2018, qu’il voulait se représenter à des élections, les européennes du 26 mai ! Et le pire : il pourrait bien réussir son comeback !

Film agréable à regarder, qui joue sur les clichés de manière ostentatoire qui renvoient à des références populaires ou, c’est ici le plus intéressant, tel un miroir, aux propres contradictions du spectateur, car bien sûr, vu l’état actuel des pays européens, nul besoin d’être italien pour se reconnaître dans quelques reflets aveuglants. Comédie  très enlevée, également grâce à une bande-son et chansons dédiées qui  accompagnent avec brio le propos. Film à voir bien sûr absolument en version originale, la langue étant partie prenante du rythme si particulier aux comédies italiennes, aux doubles-sens et à la vivacité qu’elles dégagent.

 

De Salvatore Ficarra et Valentino Picone; avec Salvatore Ficarra, Valentino Picone, Vincenzo Amato, Paride Benassai, Francesco Benigno, Gaetano Bruno, Antonio Catania, Mary Cipolla, Alessia D’Anna, Eleonora De Luca; 92 minutes; Italie; 2017.

Sortie allemande : 31 janvier 2019.

Malik Berkati

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