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Mon crime, de François Ozon, fait joyeusement revivre les comédies déjantées des années trente

À Paris, dans les années trente, Madeleine Verdier (Nadia Tereszkiewicz), jeune et jolie actrice sans le sou et sans talent, est accusée du meurtre d’un célèbre producteur, Montferrand (Jean-Christophe Bouvet). Aidée de sa meilleure amie Pauline (Rebecca Marder), jeune avocate au chômage, elle est acquittée pour légitime défense. Commence alors une nouvelle vie, faite de gloire et de succès, jusqu’à ce que la vérité éclate au grand jour avec l’arrivée inattendue de l’extravagante Odette Chaumette (Isabelle Huppert), une « Titi parisienne » à la gouaille tout aussi colorée que la chevelure et qui donne un témoignage inattendu…

— Nadia Tereszkiewicz, Isabelle Huppert et Rebecca Marder- Mon crime
© Carole Bethuel

Après un film plus intimiste et pointu, Peter von Kant (lire la critique et l’interview de Malik Berkati à la Berlinale 2022), le prolifique cinéaste français revient sur les grands écrans avec une comédie judiciaire qui flirte avec le vaudeville enjoué, très bien interprété et qui pourrait fédérer un large public, en renouant avec ce registre léger et divertissant dans lequel le réalisateur s’était illustré avec brio dans les films Potiche (2010) et Huit femmes (2002). Si Huit femmes, d’après Robert Thomas, se situait dans les années cinquante et Potiche, d’après Barillet et Grédy, dans les années septante, François Ozon poursuit son voyage dans le temps pour redonner vie aux années trente en peaufinant le moindre détail à la perfection.

Avec Mon crime, François Ozon signe son vingt-deuxième long-métrage qui s’appelait initialement Madeleine. Le réalisateur, reconnu par ses pairs et par les festivals, a été sélectionné à maintes reprises en compétition dans les grands festivals européens : six fois en compétition à Berlin, quatre fois à Cannes, trois fois à Venise et trois fois à San Sebastián. Mais Mon crime n’a pas eu l’honneur d’être sélectionné à Berlin cette année. Pourtant, cet enchaînement d’intrigues et de rebondissements multiples aurait eu de quoi convaincre et séduire.

L’intrigue de Mon crime rappelle une partie de Cluedo, mais le choix de l’arme et du lieu du crime ne font nul doute. L’identité de la victime est connue, et même connue de toutes et tous dans la Ville Lumière : Monsieur Montferrand, le directeur de la banque de Belgique et de Catalogne, un des plus gros financiers de Paris, est retrouvé mort, assassiné d’une balle dans la tête. La grande faucheuse semble l’avoir rappelé à elle entre seize heures et seize heures quinze. Apparemment, le vol n’a pas l’air d’être le mobile du crime, mais souvent les apparences sont trompeuses… Le portefeuille de la victime a disparu et une somme de trois-cents mille francs en billets de banque, qui lui avait été versée le matin même en présence de son comptable, a aussi disparu. Les suppositions vont bon train mais on ne connaît pas encore l’assassin !

Voilà de quoi apporter de l’eau au moulin du commissaire en charge de l’enquête. Dans un univers rétro qui fleure bon la nostalgie, où les hommes portent un gilet et affichent les cheveux savamment gominés, où les femmes portent fièrement un couvre-chef assorti à leur tenue, on retrouve une incroyable distribution haut en couleurs : à commencer par Fabrice Luchini qui incarne le truculent juge Gustave Rabusset qui mène l’enquête, accompagné de son fidèle et efficace secrétaire Emile Bouchard (Jean-Claude Bolle-Reddat). Monsieur Brun (Régis Laspalès), inspecteur de la sûreté, commence par interroger toutes les personnes qui, de près ou de loin, ont côtoyé la victime le jour du meurtre. C’est alors que l’inspecteur jette son dévolu sur Madeleine Verdier, cette jeune femme désargentée et comédienne à la petite semaine, qui, aux de l’inspecteur, paraît la coupable, d’autant plus qu’elle est la dernière à avoir vu Montferrand vivant. Ce dernier lui avait donné rendez-vous sis Boulevard d’Argenson 15, à Neuilly, dans sa cossue demeure. Et comme le banquier est notoirement connu pour son pendant pour la chair fraiche… La jeune femme est innocente mais saisit cette opportunité de se faire de la publicité et ainsi faire connaître son nom, non pas en tête d’affiche des salles de théâtre et de cinéma, mais en s’accusant.

Ce film est l’adaptation de la pièce de théâtre éponyme de Georges Berr et de Louis Verneuil, comédie, en deux actes et sept tableaux, qui a été représenté pour la première fois, à Paris, le 12 mars 1934, sur la scène du Théâtre des Variétés. Mais, comme à l’accoutumée, François Ozon y apporte sa touche bien personnelle, en modernisant et vivifiant le propos, et en confiant l’intrigue à une palette de comédien.ne.s hors pair.

Si le crime ébranle la communauté, l’amour n’est pas en reste : Madeleine se languit d’amour pour André (Edouard Sulpice) qui lui fait miroiter un avenir radieux ensemble, mais tait son existence auprès de son père, le richissime Monsieur Bonnard (André Dussollier) qui souhaite une alliance d’intérêt pour son fils. Parmi cette galerie bigarrée de personnages, citons Myriam Boyer qui incarne Madame Jus, la concierge délatrice de l’immeuble où vit Madeleine, Daniel Prévost en Monsieur Parvot, Procureur des Assises, Michel Fau en procureur Maurice Vrai, Félix Lefebvre en Gilbert Raton, journaliste stagiaire, entre autres…

Madeleine, acquittée aux assises, voit son existence transformée : l’argent, la renommée, la célébrité animent désormais son quotidien et la propulse dans une vie oisive et luxueuse. Ignorant ou feignant d’ignorer qu’une affaire jugée ne peut être réouverte, la véritable coupable, exaspérée que l’on profite ainsi de son crime, vient se dénoncer… Quiproquos, pirouettes, revirements, joutes oratoires et situations cocasses : tous les ingrédients du vaudeville sont réunis pour amuser la galerie. Cette pièce légère, aux élans rapides et à la savoureuse modernité est remarquablement portée sur grand écran par François Ozon qui a pris plaisir à confier ces dialogues enlevés, ciselés et vifs à sa troupe de comédiens aguerris comme aux deux nouvelles venues dont les carrières sont à suivre.

Digne d’une pièce du genre qui pousse le développement de l’intrigue à son extrême, Mon crime distille un ton burlesque et ironique qui régale de réplique en réplique. Par sa forme comme par son fond, il fait songer avec délice aux comédies déjantées des années trente mais aussi aux pièces Feydeau et de Labiche, alignant avec jovialité une allègre série de quiproquos et d’heureux hasards.

Pour qui apprécie le ton enjoué, distrayant et burlesque des vaudevilles et du théâtre de boulevard, le plaisir sera au rendez-vous. Pour les autres, l’exercice pourra finir pas lasser.
Vous voilà avertis ! À vous de choisir !

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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