Mostra 2017 – Suburbicon: la satire sociale de George Clooney mêle deux histoires sur fond d’émeutes raciales
Comme une publicité des années cinquante, Suburbicon présente une zone résidentielle idéale, idyllique et paisible, et bien évidemment destinée aux Américains blancs.
Bien sûr, ce n’est pas là le propos du film. Vous vous laissez porter par la musique signée Alexandre Desplat et entrez dans l’univers a priori parfait de cette ville rêvée. George Clooney se tient derrière la caméra pour prouver qu’il est bon réalisateur mais sur les rives du Lido, les fans attendaient, se massant contre les barrières, à l’entrée du Palais ou devant l’embarcadère, l’acteur caméléon – réalisateur – méga-star internationale, qui jongle avec brio avec les effets cinématographiques des frères Coen, de Hitchcock et de Billy Wilder.
D’une part, on suit la famille Myers: le mari William (Leith M. Burke), l’épouse Daisy (Karimah Westbrook) et son fils Andy (Tony Espinosa) – la première famille noire à emménager dans cette banlieue utopique. Leur arrivée ne passe pas inaperçue, car les habitants blancs dont le courroux et la colère se répandent rapidement à travers la région (profondément préoccupés par la sécurité et en particulier la sécurité du quartier) commencent une campagne d’intimidation, de protestation suivie de violence.
La seconde intrigue suit les Lodges – Gardner (Matt Damon), Rose (Julianne Moore) et le fils Nicky (Noah Jupe) – qui souffrent d’un grave malheur quand un duo de maffieux pénètre dans la maison pour percevoir une dette et finit par tuer Rose, la mère de famille en fauteuil roulant suite à un accident de voiture. Mais peu importe, car il y a sa sœur jumelle Margaret, séduisante et très serviable, prête à emménager auprès de son beau-frère pour lui venir en aide (aussi Moore, bien sûr), heureuse de décolérer ses cheveux et de prendre la place de Rose à la table et progressivement dans la chambre à coucher. Les choses se transforment en chaos typiquement «coenesque».
Julianne Moore et Matt Damon forment un couple bien sous tous rapports, en apparences lisse (dont le sourire du courrier amical disparait quand il se rend compte que Mme Myers n’est pas la femme de ménage). George Clooney dit de son nouveau film co-écrit par les frères Coen : «Ce n’est pas une comédie : c’est très, très sombre.» Mais il y règne un humour noir savoureux, parce que nous sommes ici pour rire de nos travers et de nos faces obscures, à la manière des Coen et de beaucoup d’autres maitres du septième art qui les ont précédés. Oscar Isaac apparaît avec la moustache de Jon Polito et fait qu’Oscar Isaac soit le personnage le plus cocasse. Il est un expert d’assurance enquêtant sur la réclamation d’indemnité suite à la mort injustifiée de Rose, et il partage deux scènes délicieuses avec Moore et Damon. Le jeune enfant de la famille Lodge, Nicky, effrayé par un cri strident au sous-sol, et il descend le couteau des escaliers seulement pour être confronté à une scène visuelle risquée qui a suscité un tonnerre d’éclats de rires … Scène directement inspirée directement de Burn After Reading. Et bien sûr, Joel et Ethan l’ont mieux fait et surtout en premier, mais cela ne change pas le fait que le gag visuel fonctionne. Les chansons, judicieusement choisies, donnent de l’entrain et trottent dans la tète des spectateurs longtemps après la projection.
George Clooney réussit une démonstrations indéniablement amusante avec Suburbicon mais trébuche quand il tente de recycler les anciens ingrédients efficaces dans une forme nouvelle. Clooney essaie de faire une déclaration sur les doubles sous-tendances du racisme et de l’hypocrisie personnelle qui se cachent sous cette façade parfaite des années 50, mais la variété de tons lui permet de se démarquer des frères Coen. Regarder un garçon innocent qui s’accroche avec vaillance a sa maison alors que les voisins en colère évoquent des citations de la Bible en agitant les drapeaux des Confédérés font trembler, ou du moins réfléchir; regarder un tricycle épais ensanglanté de Matt Damon loin d’une voiture en feu est hilarant.
Suburbicon offre un message évidemment antiségrégationniste, mais il nous enseigne que certaines choses ne sont pas destinées à être oubliées.
Firouz E. Pillet de la Mostra 2017, Lido
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