Mostra 2022 : Padre Pio, d’Abel Ferrara, présenté en première mondiale aux Giornate degli Autori, met en parallèle les tourments du saint avec les turpitudes vécues par le peuple italien
Le nouveau film du réalisateur américain, qui a vécu un certain temps à Rome, a été présenté en première mondiale aux Giornate degli Autori lors de la Mostra de Venise 2022.
Né Francesco Forgione dans le sud de l’Italie à la fin du XIXe siècle, Padre Pio (Shia LaBeouf) a suscité à la fois dévotion et controverse tout au long de sa vie. Il est devenu célèbre dans le monde catholique pour avoir présenté des stigmates, ces blessures de crucifixion correspondant à celles du corps de Jésus-Christ, qui ont amené le Saint-Siège à le sanctifier. Rappelons pour les spectateurs qui méconnaîtraient sa biographie que Padre Pio, mort en 1968 à l’âge de quatre-vingt-un ans, a été béatifié par le pape Jean-Paul II en 1999, puis canonisé en 2002.
Pour son long-métrage, Abel Ferrara n’a pas voulu, bien évidemment et n’en déplaise au monde catholique, faire une hagiographie, mais mettre en parallèle une partie de la vie du saint et les prémices du fascisme dans la péninsule italienne. Le film rappelle combien Saint Padre Pio a été porteur d’espoir pour le peuple italien pendant la terrible période de l’entre-deux-guerres. Selon les confidences du cinéaste lors de notre rencontre au GIFF en 2017, nous avions constaté la propension d’Abel Ferrara envers le sacré, envers le religieux, voire la religiosité, qui s’accompagne désormais d’une nouvelle ferveur politique. Une autre spécificité du cinéaste new-yorkais est son goût indubitable et pleinement assumé pour les personnages controversés, agités, tourmentés, écartelés par leurs contradictions et qui tentent de survivre dans un monde sombre.
Ce Padre Pio se consacre au Saint de San Giovanni Rotondo mais le saint homme, tant adulé et vénéré par les catholiques italiens comme ceux du monde, a des sautes d’humeur et n’a rien à voir avec l’hagiographie éponyme signée Carlo Carlei et Sergio Castellitto. Chez Abel Ferrara, Padre Pio se met à crier, s’emporte, hurle des gros mots dans ses accès de colère. Abel Ferrara choisit de mettre en lumière la dimension politico-historique du contexte dans lequel a vécu le père de Pietrelcina plutôt que les tourments spirituels de l’homme d’Église.
Ainsi, le film rappelle le massacre de San Giovanni Rotondo en 1920 lorsque les socialistes qui avaient remporté les élections ont été rejetés et retirés de la mairie par les armes à feu – prémisses du fascisme – causant ainsi quatorze morts et quatre-vingts blessés. Abel Ferrara dépeint la condition des paysans, dont moult reviennent de la guerre, persécutés par les propriétaires terriens, enthousiasmés par l’idéologie socialiste dans l’espoir d’un avenir plus égalitaire.
Si la prime impression de certaines scènes et de certains dialogues apparaissent didactiques et très prévisibles, Abel Ferrara donne progressivement une épaisseur physique au saint homme, auréolé de mysticisme. Il fait la part belle tant au côté tourmenté de Padre Pio, mu par son exaltation religieuse qu’aux spectres du douloureux passé de l’Italie.
À Venise, pour celles et ceux qui demeuraient perplexes quant au choix du cinéaste de Shia LaBeouf pour le rôle-titre, Abel Ferrara a argumenté de manière très concise : « Il croit ».
Padre Pio semble le film le plus complexe d’Abel Ferrara depuis son Pasolini.
Firouz E. Pillet, Venise
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