Cinéma / KinoCulture / KulturMostra 2023

Mostra 2023 : Melk (Lait), le premier long métrage de Stefanie Kolk, présenté en compétition dans la section Giornate degli Autori, traite du sujet délicat de la mort périnatale et du difficile processus de deuil

Si la Mostra de Venise souffle ses quatre-vingts bougies en 2023, la section indépendante et parallèle, la Giornate degli Autori, célèbre sa vingtième édition qui s’annonce diversifiée, effervescente, enthousiasmante, touchant tant à des thématiques sociétales qu’à des sujets qui s’aventurent hors des sentiers battus.

Dédiée à Andrea Purgatori, journaliste d’investigation et président très apprécié du Giornate, décédé récemment, et au réalisateur Citto Maselli, fondateur de cette section en 2004, cette vingtième édition propose dix films en compétition, sept films « événements spéciaux », ainsi que huit titres des Nuits vénitiennes mais aussi une soirée consacrée à Jean-Marc Vallée et au cinéma québécois et quatre projections spéciales, sans oublier les rencontres et d’échanges avec les auteur.e.s.

Melk de Stefanie Kolk
© Emo Weemhoff – LemmingFilm

Dans la compétition figurent plusieurs premiers films, dont plusieurs réalisés par des femmes parmi lesquelles l’on trouve la Néerlandaise Stefanie Kolk, cinéaste et scénariste basée à Amsterdam. Après une formation en microbiologie, Stefanie Kolk a vécu deux ans au Japon avant d’entrer à l’Académie du cinéma des Pays-Bas. Son court métrage de fin d’études Clan et ses courts métrages Harbour ainsi que son dernier ouvrage Eyes on the Road ont été présentés en première dans le cadre de la compétition internationale Pardi di Domani du Festival international du film de Locarno respectivement en 2016, 2017 et 2019. Stefanie Kolk a participé à la Berlinale Talents 2019 et à Talent en Route au Festival du film des Pays-Bas 2019. Son premier long métrage Melk fait partie de la Berlinale Script Station 2021.

À travers un scénario délicat et sensible, Stefanie Kolk affronte le sujet douloureux du deuil périnatal, des douleurs et du cheminement de résilience qui diffèrent d’un parent à l’autre, de l’empathie et du don comme voie salutaire pour renouer avec la vie.

Melk suit le parcours d’une jeune mère, Robin (Frieda Barnhard), qui, quelques jours après avoir donné naissance à un bébé mort-né, voit ses seins commencer à produire du lait. Incapable de jeter son lait, Robin, soutenu par son compagnon Jonas (Aleksej Ovsiannikov), elle prend la décision inhabituelle de donner son lait. Alors que sa quête d’un endroit où faire un don devient plus difficile que prévu, de plus en plus de lait commence à envahir son congélateur, sa relation et sa vie de couple et sa vie de femme.

Si elle est recalée par la Banque nationale du lait maternel, Robin vit avec son temps et relate son parcours sur les réseaux sociaux. Devenant membre d’un groupe Facebook où les parents partagent leur lait maternel avec des mères qui n’en produisent pas assez ou pas du tout, Robin est prêtre à parcourir des kilomètres pour livrer elle-même les nombreux biberons de lait qu’elle a pompé et méticuleusement conservé.

Outre les réseaux sociaux qui lui ont apporté beaucoup de réponses à ses questions, Stefanie Kolk s’est aussi inspirée de l’expérience éprouvante vécue par sa sœur, comme elle le mentionne :

« J’ai eu l’idée de Melk lorsque j’allaitais ma fille. L’histoire est inspirée de l’expérience de ma sœur et des histoires de parents à qui j’ai parlé et qui ont choisi de donner leur lait après avoir perdu leur bébé. Dans le film, j’explore le physique et la (in)tangibilité du lien entre une jeune femme et le bébé à naître qu’elle a perdu. Je pose des questions sur le deuil et la perte d’un bébé, dont les attentes sont très différentes culturellement, mais universellement fortes, comme le lien muet entre une mère et son enfant à naître. Le film, pour moi, est devenu dans un sens plus large un moyen de communication sans paroles, ce qui reste un aspect très important de la façon dont nous interagissons et nous comprenons les uns les autres, et a été un sujet récurrent tout au long de mon cinéma. »

Avec finesse et délicatesse, la jeune cinéaste néerlandaise décrit par touches progressives le chagrin, les souffrances, la solitude, la peine tant de la maman que du papa qui vivent et expriment différemment ce qu’ils ressentent. Si Jonas a besoin de partager avec leurs amis proches et part en escapade avec eux dans les Ardennes, Robin choisit un groupe composé d’inconnu.e.s qui partagent en commun un deuil, mais le vivent en silence en se promenant dans la nature où seul le gazouillis discret des oiseaux vient troubler la quiétude du groupe qui, les rares fois où ils communiquent, écrivent sur une feuille de papier.

Dès la première séquence qui montre un chemin s’enfonçant dans une forêt plongée dans une épaisse brume, la photographie joue un rôle primordial. Le directeur de la photographie Emo Weemhoff et la réalisatrice ont opté pour un cadrage et un montage très épuré, voire austère, qui met en exergue les tensions inhérentes aux personnages sans sombrer dans la démonstration.

— Frieda Barnhard – Melk
© Emo Weemhoff – LemmingFilm

Stefanie Kolk a choisi de filmer ses protagonistes avec des plans simples donnant au public l’impression d’être à côté de Robin, voire à ses côtés, dans cette épreuve. Son éplorement et son affliction sont perceptibles, mis en valeur par le silence qui devient un protagoniste à part entière, en particulier dans les scènes où le groupe de personnes endeuillées déambulent entre les troncs des arbres, sur des sentiers jonchés de feuilles mortes. La présence physique et le langage non verbal permettent d’exprimer une palette subtile de nuances d’émotions et on comprend aisément que Robin rejoigne ce groupe silencieux qui devient pour elle un exutoire salutaire où chacun.e respecte l’espace et le silence d’autrui. Ce groupe de randonnée pour les personnes en deuil crée une dynamique palpable pour le public bien que les randonneurs n’aient pas besoin de savoir quoique ce soir sur l’épreuve des autres personnes. Ils et elles trouvent un réconfort dans un regard bienveillant, en partageant un espace, comme un jardin secret que la société ne peut leur procurer.

Mais avis aux parents qui, parmi le public, ont vécu un tel séisme existentiel dans leur vie : le film de Stefanie Kolk ne laisse pas indemne émotionnellement !

Firouz E.Pillet, Venise

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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