Mostra 2024 : présenté en Compétition dans la section Giornate degli Autori, Manas, de Marianna Brennand, immerge le public dans une communauté amazonienne recluse et en proie aux abus sexuels
Présenté en première mondiale, au Lido de Venise, Manas est le premier long métrage dramatique de la réalisatrice Marianna Brennand, connue pour ses documentaires.
Dans la forêt amazonienne, sur l’île de Marajó, Marcielle, surnommée Tielle (Jamilli Correa), treize ans, vit au bord de la rivière avec son père Marcílio (Romolo Braga), sa mère enceinte Danielle (Fátima Macedo) et ses trois frères et sœurs. Le lieu s’apparente à un îlot de paix, éloigné de la civilisation et isolé, desservi par les barges qui sillonnent le fleuve. De nombreuses scènes se déroulent sur ces barges et permettent à Marianna Brennand de filmer les visages au plus près, les mains de la protagoniste qui caressent la surface de l’eau trouble alors que la barge avance sur le fleuve, le tout sur un fond sonore fait des bruissements de la forêt et de la stridulation des insectes.
En apparence, cela ressemble à un style de vie paradisiaque, en harmonie avec la nature mais cette famille nombreuse est frappée par la pauvreté. Poussée par les paroles de sa mère, Marcielle idolâtre l’image de Claudinha, sa sœur aînée, qui aurait échappé à sa réalité en « trouvant un homme bon » sur les barges qui sillonnent la région. Tielle glisse inéluctablement vers la triste reproduction du même schéma. L’adolescente voit bon nombre de ses idéaux s’effondrer et se retrouve coincée entre deux environnements abusifs. Inquiète pour sa sœur cadette et consciente que l’avenir ne lui offre pas beaucoup d’options, elle décide d’affronter le régime violent qui gouverne sa famille et les femmes de sa communauté. À mesure que Tielle grandit, elle converse avec un homme beaucoup plus âgé qu’elle, Faquinho, qui lui promet de l’emmener dans sa ville, Gravata. Naïve et crédule mais déterminée à changer son destin, Marcielle affronte alors de manière inattendue ce système violent qui régit la vie familiale et communautaire. Dans cette société très patriarcale où les femmes sont la propriété des hommes, le père nourrit sa famille en chassant les animaux dans la forêt tropicale avec ses filles quand elles sont assez grandes, en imposant son autorité, voire plus…
Après avoir obtenu un diplôme en cinéma à l’UCSB, Marianna Brennand est retournée au Brésil pour réaliser un documentaire sur son grand-oncle Francisco, un artiste brésilien mondialement reconnu pour son travail en céramique. Investissant dans une approche narrative poétique basée sur les journaux intimes de son personnage, Francisco Brennand a été créé en 2012 et a remporté le prix du meilleur documentaire brésilien et du meilleur film brésilien au Festival du film de São Paulo. En 2007, Marianna Brennand avait réalisé un autre documentaire, O Coco, a Roda, o Pnêu e o Farol, sur la riche tradition musicale du « coco de roda » à Olinda, une ville de l’État de Pernambuco, dans le Nord-Est du Brésil. Manas marque le premier long métrage de Brennand, résultat de dix années de recherche sur le sujet complexe et délicat de l’abus et de l’exploitation sexuels des enfants et des adolescents sur l’île de Marajó, dans la forêt amazonienne.
Manas offre un accès singulier aux communautés amazoniennes et à l’environnement de la forêt tropicale tout en mettant en relief la situation et les questions relatives aux femmes ; Au fil des scènes, le public constate le statu quo de la condition féminine dont l’amélioration semble vouée à l’échec. À travers la volonté farouche de la protagoniste de comprendre la fatalité de cette réalité, une lueur d’espoir transparaît.
Marianne Brennand révèle ses intentions cinématographiques dur Manas :
« C’est lors d’une recherche documentaire dans les villages reculés de la forêt amazonienne que j’ai rencontré des femmes qui avaient enduré d’immenses traumatismes depuis leur plus jeune âge, subissant des abus sexuels à l’intérieur de leur foyer tout en étant également exploitées sexuellement sur des barges commerciales sans pratiquement aucune chance de s’échapper. Malheureusement, la plupart d’entre nous, les femmes, avons une histoire d’abus, qu’il s’agisse de violences sexuelles, morales ou psychologiques, qui ont laissé de profondes cicatrices et de profonds traumatismes. Le mouvement Me Too et d’autres mouvements de défense des droits des femmes nous ont encouragés et nous ont permis de briser le silence et de dénoncer les agresseurs du monde entier. Mais qu’en est-il de ces femmes invisibles dont nous ignorons même l’existence ? À travers Manas, je veux donner la parole à ces femmes et filles qui autrement ne seraient jamais entendues, en honorant les histoires qu’elles ont partagées avec moi. Je considère le cinéma comme un véhicule incontournable de transformation sociale et politique et j’espère que Manas saura mobiliser l’empathie des spectateurs en brisant l’énorme tabou entourant cette réalité difficile qui nous affecte toutes, les femmes. »
Grâce à la fiction, la réalisatrice a réussi à relever le défi de dépeindre non seulement la douleur physique et émotionnelle, mais aussi la douleur existentielle. Par le truchement d’un travail sur le son, Marianna Brennand réalise une extraordinaire plongée sensorielle qui relie subtilement le public à l’expérience émotionnelle du protagoniste.
Le film a remporté le prix de la meilleure réalisation des Giornate degli Autori !
Firouz E. Pillet
© j:mag Tous droits réservés