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Pessac 2022 : Guerre au Mali, coulisses d’un engrenage, de Jean Crépu, dissèque les prémices des échecs successifs de préserver le Mali des groupes islamistes

Le 17 février 2022, la France a confirmé le retrait programmé de ses troupes stationnées au Mali dans le cadre de l’opération Barkhane, sur fond de crise diplomatique ouverte avec le gouvernement putschiste à Bamako. Mais que s’est-il passé auparavant ?

Guerre au Mali, coulisses d’un engrenage de Jean Crépu
Image courtoisie Festival international du film d’histoire de Pessac

C’est dans un voyage tant temporel, politique, sociologique que géographique que Jean Crépu entraîne le public, décortiquant avec minutie l’échec des opérations « Serval » et « Barkhane » mais surtout la déliquescence d’un pays ravagé, rongé depuis son indépendance par la corruption de ses classes dirigeantes.

Accueillie en libératrice en janvier 2013, quand le Président François Hollande lançait l’opération Serval pour libérer le nord du pays des groupes armés djihadistes qui en avaient pris le contrôle, l’armée française, engagée depuis neuf ans aux côtés des soldats maliens puis des onze mille Casques bleus déployés par l’ONU, n’aura pu empêcher de larges portions du territoire de retomber sous l’emprise des combattants islamistes.

Guerre au Mali, coulisses d’un engrenage ne livre pas de grandes révélations sur la situation actuelle du conflit au Sahel dans lequel l’armée française s’est enlisée avant de capituler, ouvrant la voie aux mercenaires de Wagner. Le réalisateur et journaliste Jean Crépu a choisi d’analyser et d’autopsier tous les rouages qui ont mené, en deux décennies, le Mali à sa perte.

Suivant une trame chronologique partant de l’entrée en scène au Mali, dans les années 2000, suivant les traces des premiers groupes radicaux sanguinaires dans le Nord du Mali, issus des mouvements islamistes algériens qui ont défrayé la chronique et ensanglanté le pays pendant ce que d’aucuns appellent la guerre civile algérienne mais que les Algériennes et les Algériens nomment la décennie noire.

Déroulant ses investigations sur plus de deux décennies avant d’aboutir à la défaite de Bamako face aux divers mouvements radicalisés, Jean Crépu plonge son micro au cœur du pays, interrogeant de nombreux acteurs et activistes, des observateurs et des représentants d’ONG, des citoyens maliens comme un chauffeur de taxi-brousse mais aussi des militaires, des diplomates et des spécialistes. Jean Crépu parcourt le pays, de la capitale aux confins septentrionaux du pays, en passant par les mausolées détruits de Tombouctou, parcourant l’échelle sociale de haut au bas, offrant une palette exhaustive du vécu et des opinions des Maliens qui expriment comment ils ont vécu, et surtout subi, les événements.

Jean Crépu commence son commentaire avec les représentants du GIA qui ont fait trembler l’Algérie dans les années nonante puis rappelle que l’Algérie a été confrontée à un terrorisme islamiste très violent qui coûta, pendant la « décennie noire » des années 1990, la vie à près de 150 000 personnes et provoqua la disparition de milliers d’autres. Le réalisateur poursuit en rappelant qu’ AQMI a étendu son assise d’abord en Algérie où elle a réalisé la majorité de ses attaques puis a poursuivi son avancée au Sahel. Après la conquête de Gao par les islamistes, au printemps 2012, le consulat d’Algérie y a été pris pour cible par le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO).

On connaît la suite de l’histoire, mais le documentaire permet de remettre avec limpidité tous les pions sur l’échiquier. Au début des années 2000, des guerriers islamistes algériens, qui refusent de négocier avec le gouvernement, franchissent la frontière poreuse de 1 300 km qui sépare leur pays du Mali. Naissent alors trafic de drogue et prises d’otages qui permettent aux groupes djihadistes de prospérer dans l’indifférence de l’État malien qui n’a pas vu pointer la menace. En 2011, comme le souligne un diplomate malien, après l’intervention occidentale en Libye et la chute de Kadhafi, quelques milliers de soldats touareg ayant servi le régime de Tripoli regagnent le Mali avec leurs armes. Les djihadistes, au sein desquels vont émerger les chefs maliens Iyad Ag Ghali puis Amadou Koufa, s’allient alors (provisoirement) aux indépendantistes touareg pour conquérir les villes de Ménaka, Tombouctou, Gao, Kidal…

L’État malien s’effondre et appelle la France au secours. L’armée française intervient puis, aveuglée par sa victoire facile, s’enlise avec ses partenaires internationaux dans une fuite en avant onéreuse. De nombreux Maliens vivent très mal cette présence qui les replonge dans l’époque coloniale et le paternalisme de l’Hexagone. Tandis que la corruption s’envole avec les millions de l’aide au développement et que la prétendue démocratie malienne abandonne à leur sort le nord et le centre, les djihadistes, en l’absence de toute intervention politique et économique, regagnent le terrain perdu et étendent leur empire… Voilà l’engrenage du titre qui a précipité la rupture entre les diverses régions du pays et dont le documentaire de Jean Crépu retrace de l’intérieur les divers chapitres qui ont conduit à la situation actuelle, soulignant que le Mali a toujours connu un Islam modéré et tolérant jusqu’à l’arrivée des groupes islamistes.

Jean Crépu ouvre son objectif de manière panoramique, partant d’une observation au niveau local pour examiner la géopolitique régionale et mondiale. Son documentaire permet de situer les principales étapes et les enjeux de cette guerre perdue, qui clôt un épisode entamé à la fin du XIXe siècle avec la colonisation du Mali. Il est si richement documenté et alimenté d’interviews pointues qu’il donne envie de voir plusieurs fois pur en extraire la substantifique moelle.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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