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Pessac 2022 : A mort la sorcière, de Maria Nicollier et de Cyril Dépraz, rappelle que la Suisse tient le triste record des victimes dans la chasse aux sorcières livrée en l’Europe

La chasse aux sorcières a fait cent mille morts en Europe. Maria Nicollier et Cyril Dépraz se sont lancés dans une chasse aux documents, aux registres des tribunaux, aux témoignages de spécialistes pour livrer un documentaire passionnant qui souligne que c’est la Suisse qui détient le record du nombre de victimes, des hommes, des femmes, des enfants, des bébés.
Pour la première fois, un film documentaire raconte l’histoire de cette persécution de masse.

A mort la sorcière de Maria Nicollier et de Cyril Dépraz
Image courtoisie Festival international du film d’histoire de Pessac

Présenté en première mondiale aux 58ème Journées cinématographiques de Soleure en janvier 2022 puis au Festival international du film alpin des Diablerets en août 2022, A mort la sorcière, projeté au Festival du Film d’histoire de Pessac dans la catégorie « Documentaires inédits », immerge le public dans l’univers imaginaire des crimes de sorcellerie.

Maria Nicollier et de Cyril Dépraz révèlent les rouages d’une machine judiciaire infernale qui a mené au bûcher des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants et de nourrissions, se basant principalement sur la délation comme aucune preuve tangible n’existait. Le sabbat des sorcières relève des superstitions populaires et de l’imaginaire collectif.

La Suisse, et en particulier la Suisse romande, a connu l’une des plus féroces chasses aux sorcières d’Europe, le plus souvent au travers d’une justice séculière et sous régime protestant. Le documentaire captivant souligne que, si la chasse aux sorcières s’est initiée en Valais – où la topographie des vallées et des montagnes a entretenu les croyances et la persécution des sorcières – elle s’est ensuite largement étendue à Fribourg et au Pays de Vaud, et c’est ce dernier qui a été le plus assidu pour condamner à la Question – joli terme pour désigner à l’époque la torture – et au bûcher les prétendus sorciers et sorcières alors que le Pays de Vaud était sous occupation bernoise.

Les raisons de cette persécution à large échelle en Suisse sont multiples. Le pays se trouve au cœur des conflits politico-religieux qui déchirent l’Europe et traumatisent ses populations. Elle est morcelée en de multiples petits territoires concurrents qui pratiquent des religions différentes : catholicisme, protestantisme, protestantisme réformé. Menés essentiellement par des autorités laïques, les procès de sorcellerie servent souvent à asseoir le pouvoir de potentats locaux.

Le documentaire de Maria Nicollier et de Cyril Dépraz rappelle qu’historiquement, la chasse aux sorcières a tout d’abord été une chasse aux sorciers. Sur les cent mille procès qui se sont tenus en Europe, un tiers impliquait des hommes. La féminisation de la chasse aux sorcières va toutefois rapidement se développer, dès la fin du XVème siècle. Le documentaire mentionne par la lecture glaçante de certains extraits que l’un de ses principaux outils était Le Marteau des sorcières, véritable mode d’emploi d’extermination et de méthodes d’obtention des aveux « spontanés », à l’intention des juges. L’ouvrage, diffusé à plus de trente mille exemplaires dans toute l’Europe à l’époque où la lecture est l’apanage des élites – ce qui équivaudrait aujourd’hui à un best seller – va irrévocablement associer le maléfique à la femme qui est associée aux pratiques sexuelles inavouables auxquelles elle se livre avec le diable, une silhouette noire qui arrive des airs pour y repartir aussitôt une fois son forfait commis. Un spécialiste, Michel Porret, précise que ces rapports entretenus avec le diable sont toujours stériles, car souvent pratiqués « contre-nature ».

Reflet des angoisses, des superstitions et des préjugés de son temps, Le Marteau des sorcières a signé, à travers son succès, la misogynie des générations de chasseurs de sorcières et des populations entières durant un peu moins de trois-cents ans. Alternant des interventions de spécialistes avec des images d’évocation ainsi que des séquences dans les lieux concernés qu’une voix off commente, ce documentaire compte avec la contribution de Martine Ostorero, professeure associée, Faculté des lettres, section d’histoire de l’Université de Lausanne, Katrin Utz Tremp, historienne spécialisée dans le Moyen Âge, Fabienne Taric, historienne, Lionel Dorthe, chargé de cours à l’Université de Fribourg, Michel Porret, historien et professeur émérite de l’Université de Genève, qui explique comment, « au début de la Renaissance, on construit socialement et culturellement la peur du mal, la peur de Satan, identifiée à des maladies, à des catastrophes météorologiques, à la mort des enfants…»

Les procès en sorcellerie ont produit des milliers de pages scrupuleusement retranscrites par des greffiers méticuleux. Celui d’un enfant, parti de Cluses, en Haute-Savoie, et qui a mis un an et demi pour rejoindre Fribourg est effrayant, presque dantesque : l’enfant ne comprenant pas les questions des inquisiteurs, il rit au lieu de répondre, ce qui est interprété comme une preuve insondable du Malin. Comme il a douze ans quand il est condamné, le bûcher lui sera épargné, mais il sera décapité par le bourreau. Un privilège dû à son jeune âge !

A mort la sorcière, qui offre un éclairage exhaustif et captivant sur la chasse aux sorcières, est le fruit de la collaboration entre Maria Nicollier et Cyril Dépraz.

Née en 1972 à Genève, Maria Nicollier est une scénariste et réalisatrice genevoise, productrice chez REC Production. Ses films (fictions comme documentaires) ont été tournés principalement en Asie, qui est son terrain de prédilection. Elle a également produit plus de cinquante reportages pour la télévision ainsi que des documentaires. Quant à Cyril Dépraz, né en 1966, il travaille comme journaliste, reporter et producteur depuis 1993. Il est passionné d’histoire, spécialiste du fait religieux, et a eu à de nombreuses reprises l’occasion de réaliser des reportages et des interviews sur le statut des minorités (religieuses, ethniques, sexuelles, etc.) et l’ostracisation dont elles sont souvent victimes.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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