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Pessac 2022 : Naissance d’un héros noir au cinéma: Sweet Sweetback, de Catherine Bernstein et Martine Delumeau, analyse comment Melvin Van Peebles a révolutionné la place des Afro-Américains au cinéma

Sweet Sweetback’s Baadasssss Song, de Melvin Van Peebles, sorti en 1971, représentait pour la première fois le rôle héroïque et positif, de chair et de sang, d’un personnage afro-américain, joué par le réalisateur lui-même. Quel bel hommage au cinéaste et à son œuvre révolutionnaire que le documentaire réalisé par Catherine Bernstein et Martine Delumeau !

— Naissance d’un héros noir au cinéma : Sweet Sweetback de Catherine Bernstein et Martine Delumeau
© Getty Moviepix

Disparu en 2021, Melvin Van Peebles a indubitablement révolutionné la représentation des acteurs et actrices noir.es à l’écran avec Sweet Sweetback’s Baadasssss Song. Sexe, guérilla et émancipation au programme de ce décapant volet de la collection documentaire « Avant/Après » !

Au début des années septante, seuls deux acteurs afro-américains avaient reçu un Oscar : Hattie McDaniel pour son rôle dans Autant en emporte le vent et Sidney Poitier pour son rôle dans Le lys des champs. Certes des Oscar, mais pour un rôle de domestique pour la première et d’un homme à tout faire pour le second ! Melvin Van Peebles est excédé par ces stéréotypes. En 1971, le cinéaste a déjà tourné deux longs-métrages – La permission et Watermelon Man, l’histoire d’un raciste blanc ordinaire qui se retrouve dans la peau d’un Noir. Le cinéaste refuse le « blackface » et réussit la prouesse de faire jouer le rôle principal à un acteur noir qu’il grime en blanc. Un an plus tard, Hollywood lui tourne le dos pour son projet pour Sweet Sweetback’s Baadasssss Song.

Melvin Van Peebles réalise que ses films qui cassent les carcans raciaux ne lui facilitent pas la tâche. Il perçoit combien il est ardu de promouvoir ses idées auprès des grands studios hollywoodiens dirigés par des Blancs. Melvin Van Peebles décide donc de ­mettre en vedette un héros noir en révolte contre une Amérique raciste. De cette volonté naîtra un long-métrage indépendant, à petit budget, au contenu décapant et corrosif, portant le titre improbable de Sweet ­Sweetback’s Baadasssss Song. Une recette colossale sera au rendez-vous !

En effet, quand le film est enfin à l’affiche, le public est impatient. Le 31 mars 1971, la file d’attente ne cesse de s’allonger devant le cinéma Grand Circus de Detroit. Du jamais vu pour un film indépendant et de surcroit classé X ! Il y aura un avant et un après le 31 mars 1971 qui devienra une date mémorable pour le cinéma nord-américain et va irrémédiablement changer la donne pour les actrices et acteurs noirs dans l’univers du cinéma. Le film sort dans deux salles aux États-Unis. Melvin Van Peebles, scénariste, compositeur, acteur principal, assume toutes les casquettes, réussissant à produire son film face aux puissants et tentaculaires studios d’Hollywood. Iconoclaste dans une Amérique où les discriminations sont encore de mise, Melvin Van Peebles offre à la communauté noire un héros qui lui ressemble, loin des stéréotypes d’Hollywood. Découvrir sur l’écran pour la première fois un héros noir qui se révolte et s’affranchit est à la fois novateur et libérateur pour le jeune public afro-américain venu en masse.

Sweetback vit dans le ghetto de Watts à Los Angeles. Témoin de violences policières contre un jeune activiste noir, il prend sa défense et frappe mortellement les policiers. Commence alors sa fuite.

Le résultat : un long métrage avant-gardiste classé X, mais qui fera de son auteur un millionnaire et ouvrira les portes des studios aux comédien.nes et techniciens de couleur. Irrémédiablement, il y a un avant et un après Sweet Sweetback’s Baadasssss Song qui permettra l’avènement d’un nouveau genre dans le cinéma américain : la blaxploitation qui inspirera plus tard Spike Lee ou John Singleton. Ce documentaire analyse ce phénomène à l’appui de nombreux témoi­gnages, dont celui de Van Peebles.

Avant ce succès grandiloquent, le cinéaste avait peiné à travailler aux États-Unis : ses courts-métrages n’avaient convaincu aucun producteur pour un long-métrage hollywoodien. En 1960, Martin Van Peeble s’exile en Hollande, puis en France, où il apprend la langue de Molière et œuvre au sein de la bande du journal Hara-Kiri. C’est en France qu’il réalise son premier long-métrage, La Permission (1967).

« Quand on est Noir aux USA, on sait que Sweet ­Sweetback c’est une manière de surnommer quelqu’un, tandis que le badass désigne un dur à cuire »

souligne Mike Sargent, critique cinéma américain.

Multipliant les faux raccords, les effets spéciaux et les distorsions sonores, Melvin Van Peebles s’affranchit complètement des codes en vigueur et essaime un funk expérimental de son cru, accompagné par les Earth, Wind and Fire.

Comme le met en lumière l’excellent documentaire Naissance d’un héros noir au cinéma : Sweet Sweetback, de Catherine Bernstein et Martine Delumeau, richement documenté et distillant de nombreuses interviews, Sweet Sweetback’s Baadasssss Song montre de nombreuses scènes sexuelles, ce qui lui a valu d’être e classé X. Mais il faut souligner que, si le film fait effet d’un brûlot en 1971, à l’instar de Deep Throat, de Gerard Damiano, sorti en 1972, c’est essentiellement parce que Melvin Van Peebles a refusé de céder face aux diktats de la commission de classement dont il a remis en cause les principes.

Si les quotas d’actrices et d’acteurs d’origine latino ou caribéenne, asiatique et afro-américaine sont de mise de nos jours dans les productions hollywoodiennes, il faut remercier Melvin Van Peebles pour son acte de résistance qui a ouvert les voies des plateaux et des sets de tournages à ses compatriotes noirs-américains.

Naissance d’un héros noir au cinéma, Sweet Sweetback, de Catherine Bernstein et Martine Delumeau, concourt pour le Prix du documentaire d’Histoire du Cinéma 2022.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

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