Pessac : les festivaliers ont pu découvrir Razzia de Nabil Ayouch qui représentera le Maroc à la présélection aux Oscars 2018
Une commission de sélection du Centre cinématographique marocain (CCM) a choisi Razzia, le dernier film de Nabil Ayouch, pour représenter le Maroc à la présélection aux Oscars 2018, dans la section du Meilleur film étranger. Cette information n’est pas passée sans remous et a engendré une violente polémique. Selon les médias marocains
«cette composition est jugée éthiquement incorrecte dans la mesure où tous ses membres sont des pro-Nabil Ayouch. Ils ont tous, sans exception, des liens et des intérêts avec le réalisateur. A commencer par Mahi Binebine, président de la commission qui, en plus d’être son ami, est également son associé dans la Fondation des étoiles de Sidi Moumen, et dont la fille, Dounia Binebine, joue le rôle d’Ines dans le film Razzia. »
Bref, la sélection du film de Nabil Ayouch fait couler de l’encre aux pays des cités impériales.
Mais, pour ceux qui prennent la peine de découvrir ce magnifique film et de se pencher sur son contenu, on comprend aisément que, plus que le soit-disant non respect des critères ou les prétendus conflits d’intérêt, c’est tout simplement le contenu du film qui dérange la sérénité de façade.
Après Faouzi Bensaidi en compétition à la Mostra de Venise avec Volubilis, Nabil Ayouch est à son tour parti à la conquête d’un festival international : le film Razzia de Nabil Ayouch a été sélectionné au prestigieux Festival international du film de Toronto (TIFF), qui s’est déroulé du 7 au 17 septembre 2017 dans la ville canadienne. Un festival souvent considéré comme “l’antichambre des Oscars ». Et c’est sans dote cette visibilité du film de Nabil Ayouch sur la scène internationale qui dérange.
Razzia est sélectionné dans la catégorie Platform, catégorie qui n’existe que depuis trois ans mais où avait été présenté l’an dernier Moonlight de Barry Jenkins, qui a remporté l’Oscar du meilleur film en 2017. Une catégorie qui a pour but de présenter douze films d’auteurs issus du cinéma mondial.
Des montagnes de l’Atlas à Casablanca, ville-monde, unique Razzia suit les destins croisés de divers protagonistes, a priori indépendants les uns des autres mais qui finiront par se croiser de manière surprenante. Avec de splendides vues panoramiques sur l‘Atlas marocain, deux époques se chevauchent: Abdallah (Amine Ennaji) enseigne, en berbère, aux enfants des Atlas. Il les emmène au sommets des montagnes, à la découverte de la nature, leur apprenant à lire les signes de la faune, de la flore, des astres. Mais un jour, un fonctionnaire débarque de Casablanca pour imposer par la force l’arabisation.
Première razzia avec l’arabisation forcée des Berbères. Abdallah, contraint à enseigner en arabe aux enfants des Atlas qui ne comprennent rien à cette langue, est contraint de partir pour la ville, laissant son grand amour, Yto, mère d’Ilyas, un jeune garçon bègue qu’il avait pris sous sa protection. Salima, jeune femme émancipée se retrouve enceinte et ne sait que décider devant cette grossesse dont le père ignore l’existence. Joe, Juif marocain de Casablanca, tient le restaurant musical que son père, Jacques, a créé. Hakim, jeune musicien talentueux, fan de Freddy Mercury, subit les commentaires homophones des jeunes de son âge, le mépris de son père et espère immigrer. Inès, une jeune adolescente de quinze ans, délaissée par ses parents et confiée à une nounou, aspire à connaître l’amour alors que sa jeune voisine de dix-sept ans, voilée, va être mariée à un homme du double de son âge. Chacun vit selon ses convictions et ses aspirations selon un équilibre fragile.
La caméra de Nabil Ayouch entraîne les spectateurs dans le Maroc d’aujourd’hui. Au loin, la foule en colère manifeste face aux forces de l’ordre qui sortent leur matraques pour frapper toute velléité de liberté dans les coups et le sang. Deuxième razzia. A Casablanca, entre le passé et le présent, cinq destinés sont reliées sans le savoir. Différents visages, différentes trajectoires, différentes luttes mais une même quête de liberté. Et le bruit d’une révolte qui monte … Une révolte dont les Occidentaux ont eu peut-être moins connaissance que des printemps arabes en Tunisie, en Égypte ou en Iran.
Disposant d’une excellente distribution – Hakim (Abdelilah Rachid), Joseph sit Joe (Arieh Worthalter), Salima (Maryam Touzani), Inès (Dounia Binebine), Ilyas (Abdellah Didane), Yto jeune (Saadia Ladib), entre autres, le film de Nabil Ayouch dénonce la maltraitance des Berbères du Maroc dans les années septante et le bafouage des revendications de liberté et d’expression ces récentes années: voilà sans nul doute ce qui provoque un tel tollé dans sa sélection pour la course aux Oscars. A Pessac Razzia qui porte si bien son titre, a fait l’unanimité.
Firouz E. Pillet
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