Cinéma / KinoCulture / Kultur

Phillys Nagy signe Call Jane, un drame qui rappelle les combats historiques des femmes pour disposer de leur corps

À Chicago, en 1968, alors que la ville et le pays sont au bord du bouleversement politique, Joy (Elizabeth Banks), femme au foyer de banlieue bourgeoise, élégante, souriante, et toujours parfaitement coiffée, mène une vie ordinaire avec son mari (Rupert Friend) et leur fille adolescente. Lorsque Joy apprend que sa seconde grossesse pourrait lui être fatale, elle tente de se faire entendre – au sens propre du terme ! – lors d’une réunion médicale uniquement masculine. Devant cette épée de Damoclès qui pèse sur Joy, Will, son mari avocat, vit la nouvelle comme une méchante injustice divine et s’imagine déjà père célibataire de leur fille aînée. Après avoir délibéré en présence de Joy, mais sans jamais lui donner voix au chapitre, un collège d’éminents médecins refuse de pratiquer une intervention que la bonne société n’ose ni nommer ni envisager.

— Elizabeth Banks et Sigourney Weaver – Call Jane
© Wilson Webb

Le corps médical refuse donc d’interrompre sa grossesse afin de lui sauver la vie. Joy, désemparée, ne s’avoue pas vaincue et va alors entamer un périple pour trouver une solution. Trouvant fortuitement une affiche apposée à un arrêt de bus, Joy compose le numéro qui y figure et sollicite Jane. Cet appel la mène à Virginia (Sigourney Weaver), une visionnaire indépendante qui nage à contre-courant, activiste farouche, pleinement engagée dans la santé des femmes, et à Gwen (Wunmi Mosaku), une militante qui rêve d’un jour où toutes les femmes auront accès à l’avortement, quelles que soient leurs capacités financières. Les activistes sont contraintes à recourir au Dr Dean (Cory Michael Smith), un médecin qui pratique les avortements en empoignant goulument les liasses de billets. Joy est tellement inspirée par leur travail et leur militantisme qu’elle décide de s’associer à eux, mettant chaque aspect de sa vie en retrait.

Elizabeth Banks incarne Joy avec authenticité et une juste retenue face à ces circonstances tragiques et transmet à la fois le désarroi, mais aussi la pugnacité de cette femme qui découvre une réalité qu’elle ne soupçonnait pas avant d’y être confrontée. À travers Joy et son implication progressive au sein du collectif, les spectatrices et les spectateurs apprennent à connaître le collectif Jane, ses membres, leurs combats, leurs astuces et leurs solutions ingénieuses pour contrer la réalité sociale et politique de l’époque.

Call Jane se déroule à la fin les années soixante mais l’époque fait encore les beaux jours d’une société américaine bourgeoise, blanche, conservatrice et paternaliste, où le puritanisme était la voie à suivre et où des jeunes filles de bonne famille renonçaient à toute ambition professionnelle pour devenir des épouses modèles, dévouées à leur époux et à leurs enfants, se consacrant pleinement aux tâches ménagères ponctuées par quelques bavardages entre voisines.

Présenté fin janvier 2022 au Festival de Sundance et en ouverture, hors-compétition, du 48ème Festival du cinéma américain de Deauville en septembre 2022, Call Jane relate l’histoire véridique du collectif de femmes qui organisa plusieurs milliers d’IVG clandestines de la fin des années 1960 à l’adoption de l’arrêt Roe vs. Wade par la Cour Suprême, en 1973 … Le film de Phillys Nagy a le mérite de rappeler ce chapitre méconnu de l’histoire de l’Amérique, plus précisément des femmes américaines.

Si le film demeure de facture classique et le scénario prévisible, Call Jane est porté par l’interprétation impeccable d’Elizabeth Banks, une actrice plutôt coutumière des comédies et qui prouve l’étendue de son jeu dans ce drame social, accompagné par une bande sonore soigneusement choisie.

Inévitablement, lors de cette projection, on songe aux femmes hongroises, polonaises, chiliennes, argentines, entre autres ! Ce drame édifiant se teinte d’une douloureuse ironie au regard de l’actualité récente à travers le monde. En tournant au printemps 2021, la réalisatrice Phillys Nagy n’imaginait sans doute pas que ce texte de loi fondateur pour les droits des femmes serait remis en cause un an plus tard…

Firouz E. Pillet

j:mag Tous droits réservés

Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

Firouz Pillet has 1056 posts and counting. See all posts by Firouz Pillet

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*