PriFest 2021 et ZFF 2021 – Hive (Zgjoi) de Blerta Basholli, une coproduction entre le Kosovo et la Suisse a remporté le Grand Prix de la compétition des Balkans du Prishtina International Film Festival et sera présenté en Première suisse au Zurich Film Festival
Déjà auréolé de trois prix au prestigieux festival de Sundance (Grand Prix du Jury Cinéma du Monde, Prix de la meilleure réalisation : World Cinema Dramatic, Prix du Public : World Cinema Dramatic) en janvier 2021, Hive a remporté le Grand Prix de la compétition des Balkans pour sa Première au Kosovo au PriFest. Il sera présenté en Première suisse au ZFF les 27, 28 septembre et le 2 octobre 2021 ; le film sortira sur les écrans suisses alémaniques le 7 octobre 2021, en Suisse romande, début 2022. Voir l’interview avec Blerta Basholli ici.
L’histoire que nous expose la jeune cinéaste kosovare Blerta Basholli est celle, réelle et bouleversante, de Fahrije Hoti (Yllka Gashi) dont le mari a disparu lors de la guerre du Kosovo, sept ans auparavant. Pétrie de chagrin, elle doit lutter au jour le jour pour subvenir aux besoins de ses deux enfants et de son beau-père (Çun Lajçi, célèbre artiste et militant Albanais du Kosovo) diminué physiquement. Elle s’occupe des ruches de son mari Agim, mais les abeilles ne produisent plus assez de miel. Face au manque de perspectives, elle décide de prendre son destin en main et convainc d’autres veuves et femmes de disparus de se lancer dans une petite entreprise communautaire (Krusha) de production et vente de ajvar, un condiment à base de poivrons rouges. Cette activité lucrative leur permet également de ne plus rester seules avec leurs problèmes, leur chagrin, de retrouver l’élan de la vie. Cette émancipation va très vite déplaire aux hommes du village pour lesquels une femme doit rester à la maison à s’occuper de ses enfants. Lorsque Fahrije leur demande si ce sont eux qui vont l’aider, aucune réponse. Le succès de l’entreprise attise l’hostilité des hommes qui font tout pour que cela se termine par un échec cuisant.
Hive touche à plusieurs nerfs de la société, avec sobriété et simplicité, il nous parle d’une région, d’une terre gorgée de souffrances mais de laquelle jaillit l’universel – celui du désastre des guerres dont les répercussions se prolongent amplement dans le temps, comme celui de la condition des femmes qui est en perpétuel conflit avec la vision d’un monde, partout encore, définie par le masculin. Si les hommes du village mettaient autant d’énergie à trouver des solutions pour la communauté que celle qu’ils mettent à détruire les ambitions de ces entrepreneuses, le village se porterait beaucoup mieux !
La Première à Prishtina dans le cadre du festival international annuel PriFest, dans la salle pleine à craquer du Théâtre national, a soulevé une vague d’émotions collective comme rarement vue dans un cinéma : hommes et femmes, jeunes et plus âgés étaient en larmes, dans la salle comme sur la scène, lorsque le générique a pris fin et que toute l’équipe s’est présentée au public. S’il y avait eu quelqu’un.e, ce soir-là, qui aurait douté des vertus cathartiques du cinéma, l’immersion dans cette salle l’aurait définitivement convaincu.e !
« Une veuve devrait s’occuper du foyer, respecter ses beaux-parents et rester à la maison ! »
C’est ce que Fahrije entend tous les jours lorsqu’elle décide de prendre son destin en main. Elle passe son permis de conduire – grand scandale au village ! –, achète un véhicule brinquebalant et conduit jusqu’à la ville, ce qui fait d’elle, aux yeux masculins du village, une prostituée. Forcément. La honte se pose sur sa famille, personne n’est épargné, ni à l’école, ni au café, le beau-père comme les enfants se font humilier, sans parler d’elle qui doit subir les quolibets publics. Cette femme ne parle pas beaucoup, la peine se lit sur son visage fermé, elle qui, à chaque découverte de charniers par les forces internationales, se précipite pour essayer d’y trouver la dépouille de son mari. La douleur de ne pas avoir de certitude, de tirer sur le filigrane d’espoir pour ne pas sombrer, de ne pas savoir de quoi l’avenir sera fait, ni pour elle ni pour ses enfants est un poison qui entraînerait bon nombre de personnes dans la dépression. Fahrije décide de se rebiffer, de ne pas laisser le fatalisme imposer sa loi, de prendre en main la situation, de ne plus chercher à survivre mais à vivre à nouveau. Une fois décidée à outrepasser les conventions iniques de la tradition patriarcale, elle ne s’en laissera plus conter. Sa persévérance et sa volonté vont entraîner plusieurs femmes dans son sillage, ses enfants et même son beau-père vont évoluer et se ranger non seulement à ses côtés mais du côté du faire – pour la vie – et du laisser-aller – pour l’avenir.
L’histoire racontée est très douloureuse, mais Blerta Basholli évite l’écueil du pathos, n’appuie pas sur le drame plus que nécessaire, ne charge pas le film d’effets, au contraire, la cinéaste reproduit à l’os la dureté des conditions de vie, de l’environnement physique montagneux et des hommes, de manière sèche et implacable. D’un autre côté, elle met l’accent sur l’énergie vitale, la force motrice qu’est son personnage principal, sur les petites étincelles de joie et de rires partagé.es, retrouvé.es, ne serait-ce que pour quelques instants. Le passé est douleur, mais les souvenirs redeviennent beaux, et surtout, n’entravent plus l’avenir.
« Pourquoi que je vis – Parce que c’est joli »
disait Boris Vian. Certes, manifestement pas tout le temps, mais Fahrije Hoti avec Krusha et Blerta Basholli avec Hive confirment intensément ce vers du poète…
La guerre du Kosovo (1998-1999) a fait plus de 13’000 mort.es parmi les civils (toutes ethnies confondues) et, à ce jour, il reste plus d’un millier de disparus.
Aujourd’hui, l’entreprise fondée par Fahrije Hoti, dirigée exclusivement par des femmes, Krusha, emploie une cinquantaine de femmes, leurs produits se trouvent dans tout le Kosovo et, depuis 2014, ils sont également disponibles en Suisse !
De Blerta Basholli; avec Yllka Gashi, Çun Lajçi, Aurita Agushi, Kumrije Hoxha, Adriana Matoshi, Molikë Maxhuni, Blerta Ismaili, Kaona Sylejmani, Xhejilane Tërbunja, Astrit Kabashi, Adem Karaga, Armend Smajli, Shkëlqim Islami, Ilir Prapashtica; Kosovo, Suisse, Macédoine du Nord, Albanie; 2021; 84 minutes.
Le film sort le 7 octobre en Suisse alémanique et début 2022 en Suisse romande.
Malik Berkati, Prishtina et Zurich
© j:mag Tous droits réservés