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Reinas, de Klaudia Reynicke, dépeint une émouvante chronique familiale dans les affres du Pérou en proie au Sentier lumineux. Rencontre

Déjà projeté en première mondiale lors du Festival du film de Sundance 2024 dans la compétition World Cinema Dramatic puis présenté à la Berlinale 2024 dans la section Generation, le nouveau film de la réalisatrice helvético-péruvienne a eu les honneurs de la Piazza Grande en août dernier. Il sort sur les écrans romands ce 4 septembre 2024.

— Jimena Lindo, Abril Gjurinovic et Luana Vega – Reinas
© Diego Romero

Klaudia Reynicke, à qui l’on doit la série La vie devant, est déjà venue dans la ville tessinoise pour y présenter son premier long métrage, Il Nido (2016), ainsi que son second long métrage Love Me Tender (2019).

Avec ce troisième long métrage, la réalisatrice entraîne le public au cœur du quotidien d’une famille à Lima en 1992, pendant la période tumultueuse où règne le Sentier lumineux, (en espagnol, Partido Comunista del Perú – Sendero Luminoso, abrégé en PCP-SL). Le parti communiste au pouvoir multiplie les exactions et la violence met la vie quotidienne en état d’alerte permanent.

La caméra de Klaudia Reynicke suit Lucia (Abril Gjurinovic) et Aurora (Luana Vega), résignées, qui se préparent à suivre leur mère Elena (Jimena Lindo) qui a décroché un contrat de travail aux États-Unis et a décidé d’émigrer pour fuir le chaos socio-politique du Pérou. Les préparatifs vont bon train et il ne manque plus que l’autorisation paternelle de sortie du pays. La mère de famille ne cesse de fixer des rendez-vous à son ex-mari, Carlos (Gonzalo Molina), qui s’applique à lui faire faux bond. Après des années d’absence, ce père qui réapparaît voit ces retrouvailles avec ses filles comme une aubaine pour rattraper les années perdues. Les apparitions de Carlos, toujours fantasque et parfois mythomane, rendent leur départ empli d’émotions mitigées comme le regret de quitter leur groupe d’ami.e.s et leur grand-mère (l’actrice espagnole Susi Sánchez), et l’espoir et de la peur que suscite l’inconnu.

Si tout se passe très vite à Lima durant cet été 1992 du point de vue socio-politique, Klaudia Reynicke prend le temps de peindre, par touches progressives délicates, les retrouvailles entre père et filles. Les sorties à la plage et les astuces du père pour dégotter des maillots de bain qu’il troque contre un pneu ou pour se faire prêter une 4×4 pour effectuer un rodéo dans les dunes ne dupent pas les deux filles mais elles savourent la fantaisie et l’imagination débordante de ce père longtemps fantasmé. Les frasques paternelles leur permettent de faire face à l’incertitude de leur avenir, mais agacent de plus en plus Elena. À chaque rencontre, les frustrations et les peurs se mêlent à l’enthousiasme et aux attentes. Avec Reinas, la réalisatrice signe un conte initiatique intense, choral et émouvant, qui réussit avec brio à plonger le public dans l’esprit des années 1990. Au fil des séquences, la cinéaste exploite les animosités nées de l’histoire d’un ancien couple qui finit par se réunir autour d’une préoccupation commune : surmonter leurs dilemmes personnels pour l’avenir de leurs filles.

Reinas de Klaudia Reynicke
© Diego Romero

La distribution est formidable et les performances pleines d’authenticité. Il faut souligner le jeu des deux jeunes comédiennes Luana Vega et Abril Gjurinovic dans le rôle de deux sœurs aux prises avec le fait que leur père est devenu un étranger, ce qu’elles parviennent à exprimer avec une palette exceptionnelle de nuances de sentiments. Reinas offre un regard brut et intime sur ce que vivent les familles lorsqu’elles quittent leur pays, leurs racines, leurs attaches pour un inconnu empli de promesses, mais aussi d’inquiétude. À travers cette fresque magnifiquement interprétée et délicatement mise en scène, sans jamais tomber dans le pathos, le protagoniste principal est bel et bien la famille dont tous les membres doivent consentir à de nombreux sacrifices. Dans un maelström d’espérance, de peurs, de frustration et d’attente, Lucía, Aurora et Elena sont contraintes d’affronter tout ce que partir implique.

Klaudia Reynicke a grandi au Pérou, en Suisse et aux États-Unis. Avec une formation en beaux-arts et en sciences sociales, elle a commencé à réaliser des films en 2005 à la Tisch School of the Arts de NYU et a ensuite obtenu un master en réalisation cinématographique à l’ECAL/HEAD en Suisse. Son premier film The Nest a été projeté en compétition à Locarno. Mis à part les festivals mentionnés initialement, Reinas a participé à plusieurs festivals de renoms, dont le BFI London Film Festival, le Festival de cinéma Européen de Sevilla, BAFICI et Tallinn Black Nights Film Festival.

Rencontre avec Klaudia Reynicke sur les rives du Lac majeur durant le 77e Festival de Locarno:

 

Le film sort en Suisse romande le 4 septembre 2024.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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