Rencontre avec Etienne Garcia, Président du Festival international du film politique de Carcassonne
La cinquième édition du Festival International du Film Politique a eu lieu en Occitanie, entre le 12 et le 16 janvier 2023, devant un auditoire de 16 000 spectateurs venus du quatre coins du monde. Etienne Garcia, président, et Henzo Lefèvre, directeur, deux jeunes cinéphiles enthousiastes, ont réussi leur pari fou et incertain avec cette manifestation qui depuis 2018 enchante et émerveille le public local, mais aussi hexagonal et international.
Cette cinquième édition a projeté 350 films de 19 pays. Cela signifie 50 projections dans les salles l’Odeum, Colisée et du fameux Centre de Congès du Dôme, ainsi que 34 avant-premières avec la présence d’une soixantaine d’artistes. L’association Regard-Caméra, organisatrice de l’événement, soutenue par la ville de Carcassonne, a accueilli des noms personalités comme Cédric Jimenez où Vincent Lindon.
À la recherche de liens avec le jeune public, le festival a proposé un programme scolaire aux 100 élèves de l’Occitanie qui ont découvert sept longs métrages dans une perspective éducative. La manifestation s’est associée avec une consœur nommée Extraordinaire, en organisant la venue de jeunes handicapés mentaux qui ont assisté aux nombreuses initiations au cinéma, sous la houlette de réalisateur Louis-Julien Lepetit (La Brigade).
Les moments les plus forts de la cinquième édition furent les prix, d’abord distribués à Jimenez et Lindon. Vincent Lindon a de plus initié une longue masterclass, en discutant avec le public pendant plus de quatre heures. Le premier a obtenu le Prix d’Honneur de la réalisation et présenté deux de ces films, Novembre et Aux Yeux de Tous. Vincent Lindon, qui avait magistralement assuré la présidence du jury des longs métrages au dernier festival de Cannes, a reçu un Prix d’Honneur pour l’ensemble de sa carrière.
La manifestation de cinq jours consacré au cinéma politique fut ouverte avec le long métrage Houria de Mounia Meddour. Le Grand prix du festival est allé à Firas Khoury, réalisateur de Alam une coproduction entre Palestine, France et Tunisie de 110 minutes qui raconte l’existence de Tamer, un Palestinien d’Israël. Ce lycéen insouciant change sa vie lors de l’arrivée de l’attractive Mayssa. Pour l’impressionner, il prend part à une mystérieuse opération drapeau, à la veille de la fête de l’indépendance israélienne, proclamé le jour de deuil de son peuple ! Le réalisateur Steve Achiepo a obtenu le Prix du jury pour la meilleure réalisation, puis le Prix du public pour sa fiction de 106 minutes, intitulé Le Marchand de sable, la poignante histoire de Djo, un simple livreur devenu malgré lui marchand de sommeil de ses compatriotes, venus fraîchement d’Afrique, a fait naître un grand cinéaste et découvrir le grand talent de son interprète principal Moussa Mansaly. La participation de Benoît Magimel et Aïssa Maïga fut décisive pour la très grande attraction du film. Cinéaste canadienne d’origine kurde, Zayne Akyel a reçu le Prix du Meilleur documentaire pour Rojek qui retrace le début, l’apogée et la chute de l’État islamique, en 128 minutes. La coproduction entre la Biélorussie et Russie, intitulé Where Are We Headed de Russlan Fedetow a eu le Prix des étudiants. Le Prix du meilleur court métrage a été attribué à Seven Minutes And Thirty-One Seconds, de l’Iranienne Solmaz Gholami.
Le documentaire Toute La Beauté et Le Sang Versé (All the Beauty and the Bloodshed) de l’Américaine Laura Poitras, consacré à l’artiste polyvalente Nan Goldin, inventrice de la notion du genre, des définitions de la normalité en révolutionnant l’art de la photographie et se battant longtemps contre des responsables de la crise planètaire des opioïdes, la puissante famille Sackler, a clos la fête du 7ème art de Carcassonne.
Le président du Festival International du Film Politique, Etienne Garcia nous a présenté cette manifestation, unique en France qui a trouvé son public:
De l’association Regard-Caméra au Festival du Film politique de tendance internationale, il y a un grand et long chemin. Vous et l’équipe l’avez traversé avec une visible réussite. Comment et avec quels moyens ?
Le regard caméra a été utilisé dans le cinéma, notamment chez Godard et Truffaut, pour questionner le public en ne montrant plus une image comme simple regard d’un réalisateur, mais comme une entrée du public dans la narration. Le film politique est pour nous en adéquation avec cette idée puisqu’il s’agit avant tout d’un questionnement de conscience dans la volonté artistique et cinématographique. Notre association a porté ce festival depuis sa création, il y a 5 ans, avec le soutien de partenaires publics et privés derrière un même projet artistique et humain. L’engagement des bénévoles durant toute l’année a permis de développer ce festival en très peu de temps, qui pour la première fois depuis sa création à pu passer entre crise sanitaire et mouvements nationaux pour se déployer au-delà de nos espérances.
Quand on dit film politique, les réalisations documentaires s’imposent. Le choix de longs métrages de fiction, montrés durant la manifestation, remet-il en question cette idée ?
Je pense que le film politique n’est pas un genre, c’est avant tout une intention, il intègre l’art politique au même titre qu’un travail, photographique, musical ou pictural qui en aurait l’intention. La fiction a une portée politique et sociétale égale pour nous au documentaire, c’est le traitement du sujet qui diffère mais sa résonance est la même si l’intention est première.
Organiser un événement du genre loin des centres connus comme Paris ou Lyon est un vrai courage, humain, mais aussi matériel. Comment avez-vous fait ?
Nous sommes Audois de naissance et passionnés de cinéma depuis l’enfance. Nous avons toujours rêvé vivre un festival de cinéma dans un territoire où il n’existait pas de manifestation majeure, mais où la vie cinématographique en revanche à l’année était belle et bien présente avec les cinémas de Carcassonne, Narbonne mais aussi les réseaux cinem’Aude pour la ruralité. Si l’éloignement logistique de Paris est un frein pour certaines équipes, journalistes ou invités, l’engouement du territoire est lui une force, car aucune manifestation culturelle majeure était présente en janvier sur le territoire et la passion a été le vecteur de rassemblement des bénévoles, des partenaires mais aussi du public autour de ce projet. On dit souvent que dans une très grande ville, il faut exister au milieu d’une multitude de structures qui existent déjà. Le challenge est intéressant quand il s’agit d’exister dans un territoire où il y a moins de population mais où l’offre est moins importante et donne une place prépondérante aux manifestations phares sur le territoire.
La ville de Carcassonne est attractive. Cela vous a-t-il aidé à faire venir tant de personnes de 23 départements ?
C’est une évidence et ce fut un critère majeur dans le choix d’avoir créé ce festival au sein de cette ville. Elle comptabilise le deuxième monument de France gratuit visité après le Mont-Saint-Michel, elle comporte deux sites classés au Patrimoine de l’UNESCO avec la Cité mais aussi le Canal du Midi. Elle accueille un tourisme national et international et cela identifie le festival à l’essence même du mot politique puisqu’il s’agit de la gestion de la Cité. Enfin, Carcassonne a une richesse hôtelière liée à cette attractivité offrant aux invités, journalistes et bien sûr aux festivaliers, un cadre pleinement propice à une manifestation internationale.
À part des vedettes françaises et des acteurs, puis réalisateurs engagés, comme Ken Loach, quelles sont vos autres ambitions ?
Les ambitions premières sont artistiques et notamment dans un travail de sélection que nous avons mené aux côtés de comités qui ont porté un énorme travail puisque 350 films ont été visionnés en amont de cette sélection. Les talents que vous soulignez sont pleinement engagés dans le cinéma politique et se rendent ou collaborent avec le festival par l’écrin qu’ils véhiculent. Notre objectif étant de continuer à mettre en lumière ces talents, mais aussi de pouvoir découvrir et promouvoir de nouveaux talents.
Cette cinquième édition a été marquée par le retour à la normale, après la pandémie mondiale. Quels sont ses autres avantages et particularités ?
La crise sanitaire a posé de nombreux problèmes dans la construction de l’événement. Le premier ayant eu un impact conséquent sur le public, notamment à risque, qui a déserté les salles pendant la durée de la crise. On a senti un retour de ce public en 2023 avec un retour également de la convivialité qui était limitée aux règles sanitaires en vigueur. Il était également très difficile de travailler avec sérénité puisque l’évolution sanitaire était quotidienne et que l’édition 2022 du FIFP a été réalisée lors du pire week-end en nombre de contaminations de 2022, à savoir 500 000 nouveaux cas par jour en France à l’époque. Un festival, au-delà du cinéma, est un endroit de rencontres et de partage, le festival a pu désormais retrouver pleinement cette fonction. Nous avons développé les lieux vivants, avec le Salon du festival, où il est possible de partager un moment de convivialité entre public, invités et bénévoles. Ces lieux communs contribuent grandement à la richesse humaine du festival.
Pourriez-vous nous faire part de vos ambitions futures ?
À l’heure où je vous réponds, il est trop tôt pour être précis en termes d’ambitions puisque l’édition 5 s’achève à peine. Pour autant, le travail artistique et les ambitions seront là pour cette 6ème édition avec un développement économique du festival sur lequel nous travaillerons prochainement. Nous avons la conviction que l’écrin artistique et humain que nous avons porté ensemble rend ce festival singulier et nous comptons construire sur ces bases et pouvoir regarder vers l’avant.
Djenana Djana Mujadzic
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