Rencontre avec Ritesh Batra, le réalisateur du film Photograph sorti sur les écrans romands
Ritesh Batra est surtout connu pour son premier long métrage The Lunchbox, qui a été présenté au Festival de Cannes en 2013 et a remporté le Rail d’Or (Grand Golden Rail). Le film avec Irrfan Khan, Nawazuddin Siddiqui et Nimrat Kaur est également devenu le film étranger le plus vu à travers le monde pour l’année 2014, et a été nominé pour un prix BAFTA dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère.
Avant Photograph, Batra a réalisé The Sense of an Ending, une adaptation du roman lauréat du prix Booker de Julian Barnesau titre éponyme. En 2017, il a également réalisé le drame romantique américain Our Souls at Night avec les acteurs primés aux Oscars Robert Redford et Jane Fonda.
Photograph, avec Nawazuddin Siddiqui et Sanya Malhotra dans des rôles principaux dépeint la relation entre un photographe de rue, Rafi (Nawazuddin Siddiqui), et une jeune étudiante, Miloni (Sanya Malhotra), qu’il convainc de se faire passer pour sa fiancée afin que son grand-mère cesse de le mettre sous pression pour se marier. (Critique du film parue pendant la Berlinale 2019)
j:mag a rencontré Ritesh Brata dans un salon accueillant au quatrième étage du Palais de la Berlinale pour discuter avec le talentueux cinéaste indien de son dernier film.
Comment vous est venue l’idée du film Photograph et pourquoi le situer à Bombay, votre ville natale ?
Bombay, c’est la ville que je connais le mieux. J’ai grandi là-bas, je suis né là-bas. J’ai un profond amour pour cette ville. Je tenais à filmer La Porte de l’Inde qui est un monument situé sur le front de mer de Bombay en Inde et qui accueille les visiteurs qui arrivent par la mer. (Érigée dans la partie sud de la ville, la Porte est une arche monumentale construite en basalte jaune dans le style Gujarati du XVIᵉ siècle, N.D.L.R.).
Aujourd’hui, je connais moins ce qui se passe à Bombay puisque je suis parti mais j’y reviens autant que possible. Je suis revenu pour y faire The Lunchbox et Photograph. Je reviens rendre visite à ma famille, à mes parents, à ma sœur et à tous ceux qui y vivent encore. J’adore la ville et j’ai l’impression de connaître ces personnages; Bombay est un protagoniste par excellence.
A l’instar du titre du film, la photographie est très travaillée et distille une atmosphère très nostalgique …
Bombay est un vrai lieu de nostalgie car il est resté pour moi comme à l’époque où je suis parti. Bombay et son atmosphère me manquent vraiment …
Qu’en est-il de deux personnes qui viennent de classes différentes et dont la vie avance de pair pendant un certain temps ?
Je fais des films sur le désir, sur des personnes essayant de se connecter. Dans Photograph, deux inconnus d’horizons différents tentent également de se connecter. Lui, c’est Rafi, un photographe de rue en difficulté. Elle, c’est Sanya, une étudiante timide en comptabilité. Ils se rencontrent quand il prend sa photo à la Porte de l’Inde, le célèbre monument en arc de Mumbai. Rafi subit des pressions de sa grand-mère pour se marier alors il convainc Sanya de se faire passer pour sa fiancée lors d’une visite familiale.
On observe les différences de classes dans des commentaires du chauffeur de taxi sur le fait qu’ils soient ensemble. Il y a l’amitié de Sanya avec l’employée domestique à la maison. Pourquoi était-il important pour vous de montrer les différences de classe ? Est-ce pour donner donner plus de réalisme à vos protagonistes ?
J’ai également pensé que ce type de relation serait «indéfinie». Donc, je voulais définir cela. Je pense que c’est un film très réaliste mais en même temps il y a un fantôme dans le film et ces deux personnes vivent dans une relation très indéfinie. Vous ne pouvez pas définir cette relation; c’était vraiment intéressant pour moi et source d’inspiration : comment faites-vous un film sur une relation qui ne peut pas être définie ? Cela ouvre les possibilités narratives car il ne peut pas être défini comme «un amour»; il ne peut pas être défini comme «semblable». Ce duo ne peut pas être défini comme un «petit ami et petite amie».
Pourtant, on sait que la société indienne a conservé la prépondérance des castes et il est impensable que des personnes issues de castes différentes se fréquentent ?
J’ai l’impression qu’il y a tellement de relations possibles dans nos vies que nous ne pouvons pas vraiment les définir exactement. Parfois, vous avez la possibilité d’être dans une relation comme cela et vous y pensez évidemment des années plus tard sans pouvoir la définir.
Comment avez-vous travailler pour tenir sur la longueur cette relation importable – vu la différences de castes – qui se consolide au fil des rencontres ? Parce qu’ils sont issus de deux classes sociales différentes, l’interaction serait basée généralement sur la question «combien ça coûte ? »
Quand je l’écrivais, il s’agissait simplement de savoir comment maintenir la durée du film entre deux personnes qui, généralement, ne passeraient jamais de temps ensemble et qui apprennent à se connaître. C’est bien que les gens puissent le prendre et ressentir quelque chose de différent à ce sujet.
Nous avons abordé la nostalgie qui émane de la photographie de votre dernier film; comment voyez-vous la place de la photographie dans votre filmographie ?
C’est toujours quelque chose de différent mais dans tous mes films, ils parlent tous de désir ou de nostalgie. Donc je ne sais pas, et je ne mets pas vraiment beaucoup de réflexion sur les fils communs qui les traversent, mais je suis intéressé par ces thèmes qui finissent toujours par apparaître dans ma propre écriture.
Où trouvez-vos vos sources d’inspiration ?
A chaque nouveau film, les idées sont toujours différentes du point de vue auquel vous vous tenez dans votre propre vie. Vous regardez les choses autour de vous, les opportunités que vous avez et c’est toujours une raison différente pour chaque film et la motivation qui me pousse à le faire. … Vous devez vous amener personnellement à votre travail pour qu’il soit motivant, amusant et pour qu’il vous soutienne longtemps et sourisse votre inspiration.
Il y a quelque chose de suranné, qui appartient à une autre époque, dans votre film ?
L’Inde vit plusieurs périodes au même moment : l’époque actuelle et celle d’il y a deux décennies. L’histoire raconte la vie de deux personnes qui appartiennent à des périodes différentes. Tant de choses ont changé dans les deux dernières décennies. Ce film raconte deux personnages solitaires et restés dans le passé, qui s’adaptent difficilement à notre époque. Le seul moyen de communication à leur disposition devient ces lettres. C’est une échappatoire. La nostalgie vient aussi du fait que tout a changé trop vite. Il y a un tel dynamisme à Bombay.
Comment passez-vous de l’écriture à la réalisation ?
Je pense qu’il arrive à beaucoup d’écrivains que la scène dont le film parle vraiment, c’est la scène que vous écrivez en premier. Et, le plus souvent pour moi, cette scène finit par être la dernière scène du film. L’ensemble du processus d’écriture est un processus d’apprentissage de vos personnages. Et j’aime vraiment cette étape. Tout le monde travaille différemment. Pour certaines personnes, un visuel vient en premier et mais pour moi vraiment, les films parlent de relations et de personnages. Ce sont ces deux personnes qui font ces choses ou ce sont les choses leur arrivent. Pour ce film, j’ai écrit la première scène du film en premier.
Les deux protagonistes ont plutôt taiseux…
Le film en dit plus sur les silences entre les étrangers que sur n’importe quel mot, On peut laisser les émotions monter tranquillement mais les rendre tangibles pour le public.
Où vivez-vous actuellement ?
Je vis entre Bombay et New York. Avec mon épouse Claudia, qui est américaine, j’ai une fille, Aisha. Il est important pour moi de cultiver cette double culture.
Travaillez-vous déjà sur un nouveau projet ?
Je prépare un nouveau projet, A letter from Rosemary Kennedy, sur la vie de la soeur de John Fitzgerald Kennedy, Rosemary, cachée au public à cause de ses difficultés sociales.
Propos recueillis à la Berlinale 2019 par Firouz E. Pillet
Sortie romande: 22 janvier
© j:mag Tous droits réservés