Rifkin’s Festival : Woody Allen signe son cinquantième film et s’amuse à mettre en abîme sa personne comme le septième art
De toute évidence, le temps n’a pas d’emprise sur la créativité de Woody Allen qui signe, à quatre-vingt ans, son cinquantième film, Rifkin’s Festival, un film empli d’un souffle vivifiant et d’une exquise autodérision.
Mort Rifkin (Wallace Shawn), professeur d’études cinématographiques à la retraite, accompagne sa jeune femme attachée de presse, Sue (Gina Gershon) au Festival du film de San Sebastian en Espagne. Il n’y va pas pour visionner des films, mais parce qu’il craint que la fascination de Sue pour son jeune et célèbre client, un réalisateur français, Philippe (Louis Garrel), ne soit plus que professionnelle. De plus, Mort espère que le changement de décor lui procurera un répit dans sa lutte incessante pour écrire un premier roman à la hauteur de ses normes, redoutablement exigeantes. Avec les opinions implacablement dédaigneuses de Mort à l’égard de Philippe et l’attention soutenue de Sue sur sa carrière ainsi que sur Philippe, leur relation déjà bien effilochée par le temps, devient encore plus tendue.
L’humeur de Mort s’éclaircit lorsqu’il rencontre une jeune femme docteur qu’il consulte pour des maux anodins, Jo Rojas (Elena Anaya), une âme sœur dont le mariage avec le peintre tumultueux et infidèle Paco (Sergi López) suscite sa compassion. Alors que les goûts personnels de Mort ont parfois repoussé bien des personnes, il se découvre de nombreux points communs avec cette jeune femme, dont une émouvante sensibilité. Mort et Jo partagent des moments complices dans les environs de San Sebastian, sur le bord de mer ou à la campagne des moments qui les rapprochent et font oublier à Mort son inquiétude au sujet de son couple. Alors que Sue passe ses journées avec Philippe, la relation de Mort avec Jo s’intensifie et offre à l’octogénaire un enthousiasme qu’il ne connaissait plus depuis belle lurette.
Cette comédie sur le couple, sur le temps qui passe, sur l’érosion inéluctable des sentiments et de l’attirance, se révèle une remarquable déclaration d’amour au septième art. D’aucuns y voient un film testamentaire… Pourtant, cette déclaration au cinéma est judicieusement orchestrée, insérant au fil du récit diverses scènes connues de films célèbres, devenus des classiques d’anthologie, et rejoués ici de manière savoureuse – dans l’acception moderne du terme – et truculente à la manière de Woody Allen !
Dans cette délicate et délicieuse mise en abîme, Wallace Shawn laisse immédiatement songer à Woody Allen qui n’est présent qu’au travers de cet alter ego vieillissant qui doute de la fidélité de son épouse jusqu’au moment jubilatoire où Cupidon lui décoche une de ses flèches. Mort Shawn est la référence en matière de connaissance sur le cinéma mais il ne fait plus le poids face au charisme du séduisant et jeune réalisateur en vogue. Si son cœur flanche pour la jeune médecin espagnole, il lui reste aussi sa passion pour le septième art qui est régulièrement convoqué lors de ses rêveries éveillées. Ainsi, de manière ludique, Woody Allen insère des séquences d’autres films que le réalisateur new-yorkais s’est amusé à filmer à sa manière; citons: Le Septième sceau d’Ingmar Bergman (avec la fameuse partie d’échecs), Citizen Kane d’Orson Welles avec la boule à neige, A bout de souffle de Jean-Luc Godard, Jules et Jim de François Truffaut avec la balade à vélo, El ángel exterminador incarné avec malice par Christoph Waltz dans la scène sur la plage, Les Fraises sauvages d’Ingmar Bergman à nouveau.
La direction d’Allen, avec la caméra de Vittorio Storaro, est fluide et la photographie, très lumineuse, met en valeur tant les décors que les personnages. La distribution est remarquable et le jeu des acteurs, très bien dirigés, est excellent.
Rifkin’s Festival a pour cadre San Sebastian, ville portuaire au pays basque espagnol, célèbre pour son festival qui est un protagoniste à part entière dans le film de Woody Allen. Les festivaliers du Festival de San Sebastian reconnaîtront avec bonheur divers lieux emblématiques de la ville comme le Palais de Miramar, le palais d’Arbaizenea, propriété du duc d’Arjona et l’hôtel Maria Cristina, le tout sous un rayonnant soleil.
Tout au long du film, les spectateurs peuvent s’interroger sur la part de Woody dans Mort et inversement. Mais à l’issue de la projection, ce dernier opus du cinéaste new-yorkais nous paraît trop court tant l’amusement qu’il procure est intense.
Dans les salles romandes le 16 février 2022.
Firouz E. Pillet
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