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Seules les bêtes, le dernier film de Dominik Moll, le réalisateur de «Harry, un ami qui vous veut du bien», présenté à la Mostra 2019, brouille les pistes et sème le trouble dans les âmes

Une femme (Valeria Bruni Tedeschi) disparaît sur le Plateau du Causse en plein hiver. Le lendemain d’une tempête de neige, sa voiture est retrouvée sur une route où subsistent quelques fermes isolées. Alors que les gendarmes n’ont aucune piste, cinq personnes se savent liées à cette disparition. Chacune a son secret, mais personne ne se doute que cette histoire a commencé loin de cette montagne balayée par les vents d’hiver, sur un autre continent où le soleil brûle, et où la pauvreté n’empêche pas le désir de dicter sa loi, où la combine amène des jeunes « brouteurs » à s’enrichir sur la crédulité et la solitude des Occidentaux.

— Damien Bonnard – Seules les bêtes
Image courtoisie Filmcoopi (© JC Lother)

Le dernier film de Dominik Moll plante des décors multiples selon ses protagonistes, posant progressivement les pièces disparates d’un puzzle, éparpillées au fil de son récit mais qui, par touches narratives successives, s’emboîtent subtilement distillant quelques clins d’oeil en référence à ce qui précède et annonçant des liens qui se tissent que les spectateurs croyaient insoupçonnées.

Ce conte sur la solitude humaine et sur le désamour qui mène à certains folies – parfois financées – est un harmonieux succession de plans divers – panoramiques, de dos, plongeants, etc. – qui entretiennent une atmosphère noire et anxiogène tout au long du récit. Dès la séquence d’ouverture, on suit le regard effarouché d’une chèvre qui pousse des cris stridents, attachée sur le dos don jeune homme à vélo. Il s’agit du premier personnage de film à tiroirs narratifs, Pourquoi une ville africaine ? Les spectateurs le comprendront ultérieurement. Puis suit un plan de dos qui suit les deux protagonistes – Alice (Laure Calamy) et Cédric Vigier (Bastien Bouillon), le gendarme- qui s’approchent de la voiture abandonnée de Michel Farange (Denis Ménochet), l’époux cocu.

 

Comme à l’accoutumée, la musique – violons – qui instille un sentiment dramatique dans l’atmosphère de plus en plus inquiétante contribue à entretenir le suspens et à inquiéter les spectateurs.

Au fil de l’enquête des gendarmes, le spectateur suit successivement cinq personnes liées directement ou indirectement à cette disparition : Alice (Laure Calamy), assistante sociale et femme délaissée par Michel (Denis Ménochet), son mari agriculteur, et qui s’abandonne dans les bras de son amant, Joseph, un autre agriculteur, isolé et un brin dérangé (Damien Bonnard) peut-être pour fuit l’autorité de son père intrusif (Fred Ulysse) , Marion (Nadia Tereszkiewicz), serveuse qui séduit Evelyne… et Armand (Guy Roger N’Drin), un jeune homme « brouteur » à Abidjan et qui réalise des arnaques sur Internet à des milliers de kilomètres de chez lui, histoire de s’offrir une vie opulente et de faire voler les billets sur la piste de danse de la discothèque la plus fréquentée de la ville. Mais Armand aimerait surtout regagner le coeur de sa dulcinée, Brigitte (Marie Victorie Amie) et leur fille, Flore. Mais il découvre que Brigitte vit dans une villa très chic des riches quartiers, entretenue par un Blanc.

Peu à peu, les secrets montent à la surface comme le cadavre encombrant dont la putréfaction risque bien, à la fonte des neiges,  d’attirer les quelques passants. Progressivement les pièces du puzzle s’emboîtent habilement − malgré quelques longueurs peut-être dues au récit à tiroirs liés aux chapitres qui portent le nom de chacun des protagonistes − dans cette intrigue aussi rocambolesque que captivante. Parmi les protagonistes, soulignons l’importance du lieu, le Plateau du Causse caché sous une neige immaculée, à la blancheur inquiétante qui rappelle certaines décors hitchcockiens.

Avec  l’enquête policière autour de la disparue et des dernières personnes à l’avoir vue, Dominik Moll s’intéresse aussi à un fait de société qui fait de plus en plus de ravages auprès des personnes esseulées en Occident – les brouteurs d’Afrique subsaharienne – recourant à ce truchement pour faire rebondir son récit.

Avec Seules les bêtes, Dominik Moll réussit à nous tenir en haleine grâce à un récit sombre à l’humour noir et à la distribution judicieuse.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

Journaliste RP / Journalist (basée/based Genève)

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