Sortie en Romandie de Unrueh de Cyril Schäublin – De l’anarchisme horloger dans le vallon de Saint-Imier
Présenté en Première à la Berlinale 2022 dans la section compétitive Encounters, Unrueh a permis au cinéaste suisse Cyril Schäublin d’y recevoir le Prix de la meilleure réalisation, avant de recevoir à la Viennale 2022 le Prix de la critique internationale FIPRESCI. Le film sort cette semaine sur les écrans romands.
Unrueh… il suffirait d’échanger les deux dernières lettres du mot pour passer de la signification en allemand de « balancier » à « désordre », « agitation ». C’est dans cette ambivalence sémantique que le réalisateur Zurichois construit, tel un horloger, son film à double mécanique. Issu d’une famille d’une d’ouvrières horlogères, Cyril Schäublin expose avec précision et foultitudes de détails comment fonctionne une montre mécanique. Cette déconstruction de mécanique horlogère adossée à celle de la mécanique du capitalisme industriel produit une œuvre singulière, d’une grande finesse et de toute beauté.
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Dans ces temps historiques que l’on sait tourmentés, une impression de calme flotte dans ce vallon de Saint-Imier qui est à la fois au cœur des luttes internationales et hors du tumulte du monde. Cette tonalité affective qui caractérise Unrueh provoque un sentiment d’étrangeté : les pires choses se passent dans ce pays, mais dans le calme, la politesse, presque la bonhommie. Une femme est envoyée quelques jours en détention pour ne pas avoir payé ses impôts communaux, son employeur lui souhaite tout de même une bonne journée. Idem lorsque les gendarmes refusent aux hommes, également comptables au niveau communal, l’accès à l’urne de vote, ou que le comptable annonce à une ouvrière qu’il va devoir déduire de l’argent sur la paie pour manque de productivité. Ces « merci » ou « bonne journée » incongrus ne sont empreints d’aucune malice, ils sont sincères… c’est le plus déroutant !
Basé sur les événements historiques qui ont fait de la vallée horlogère de Saint-Imier l’épicentre politique du mouvement anarchiste international en pleine expansion dans la seconde moitié du XIXe siècle, le film reconstitue les événements des années 1870. Il raconte par ailleurs la rencontre entre Joséphine Gräbli (Clara Gostynski), ouvrière qui fabrique la roue oscillant au cœur de la montre mécanique et qui régule le fameux balancier, et Pyotr Kropotkin (Alexei Evstratov), un voyageur et cartographe russe. Le personnage de Pyotr est inspiré du véritable Pyotr Kropotkin (1842 – 1921). Son livre Mémoires d’un révolutionnaire, qui évoque son séjour en Suisse où il est devenu anarchiste, a constitué une source essentielle pour l’écriture du film qui s’ouvre sur cette citation du Russe :
« L’indépendance de pensée et d’expression que je rencontrais dans le Jura suisse répondait bien mieux à mes sentiments ; et après avoir passé quelques semaines chez les horlogers, mes opinions sur le socialisme étaient fixées : j’étais anarchiste. »
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Lire la critique complète de Malik Berkati lors de la Berlinale 2022.
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