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Sur les écrans suisses Bergmál (Echo), du cinéaste islandais Rúnar Rúnarsson

Présenté dans le Concorso internazionale au Festival de Locarno 2019, Bergmál (Echo), du cinéaste islandais Rúnar Rúnarsson, traite de la société de son île à travers la période des fêtes par le truchement d’un kaléidoscope insolite.

Le film pourrait se dérouler pendant la très joyeuse période de Noël, culminant avec ses feux d’artifice allumant le réveillon du Nouvel An et effrayant les animaux domestiques à la maison, mais il est tout simplement « inutile de s’attendre à ce que Will Ferrell apparaisse soudainement en collants ou que Judy Garland se moque des joyeux jours d’or d’autrefois » comme le souligne la critique de Cineuropa. Rúnar Rúnarsson est islandais et dans la tradition scandinave, il dépeint la période des fêtes avec cette vision si spécifique des gens du grand Nord, sans serpentins ni cotillons.

Cette fois, les festivités ne servent que d’excuse pour partager une vue panoramique de la société islandaise à travers cinquante-six saynètes, toutes variant en longueur, en sujet et à peu près tout le reste. En effet, au lieu de se concentrer sur une seule histoire, Rúnarsson essaie d’en profiter autant que possible, dans un acte de gourmandise cinématographique insolite et riche en thématiques bien que de courte durée.
Le film s’ouvre sur un couloir de lavage de voiture où l’on voit s’agiter les gros rouleaux de poils savonneux qui se meuvent en cadence sur le rythme d’une musique symphonique puis surgit une grosse voiture rutilante. La séquence suivante offre un plan fixe sur une montagne enneigée, un instant contemplatif pour les spectateurs. Puis apparaissent deux silhouettes, de dos, qui gravissent le flanc au blanc immaculé; le plan s’élargit, laissant apparaître deux autres silhouettes, quatre, six, huit, dix puis une quinzaine de personnes gravissent ce mont majestueux. La séquence suivante est un moment de tendresse entre une maman et son jeune enfant, assis dans un fauteuil au salon … En arrière-plan, un sapin de Noël décoré nous indique le temps de l’année.

Même dans cette période de festivités, le cinéaste choisit de nous rappeler que la condition humaine est éphémère et que l’on meurt en tout temps et à tout âge : deux croque-morts vissant les boulons d’un cercueil et prépare le défunt, un très jeune garçon, pour la cérémonie funèbre.

Bergmál (Echo) de Rúnar Rúnarsson
© Jour2fête

Séquence dans la lumière éblouissante d’un solarium : un Noir Américain au physique de body-builder réponds à un appel téléphonique – sans doute son amie – et se plaint de l’absence de luminosité, se dit contraint d’aller au solarium étant déprimé mais avoue avoir signé un nouveau contrat pour un an supplémentaire.
Une scène très brève montre une femme dégivrant les vitres de sa voiture et tenant son bébé en pleurs dans un cosy puis immédiatement après, des gendarmes qui arrivent sur le perron d’une église à l’architecture très moderne dont les représentants bloquent l’entrée pour protéger des réfugiés qui  ont demandé l’asile.
Un chantier où les ouvriers polonais sont en grève car ils n’ont touché que le cinquième d leur salaire; le patron s’inquiète de savoir combien de temps il faudra pour les remplacer à cause des fêtes de Noël et s’énerve contre l’efficacité des syndicats. Une émission radio parle de la situation des ouvriers : « Les capitalistes ont déclaré la guerre à la classe ouvrière. Il est temps en Islande que les ouvriers se rebellent contre les capitalistes et leurs salaires extrêmes et contre leur pauvreté. » Une vérité universelle à l’heure actuelle !
Une salle de gymnastique et une élève en colère contre son prof qui la frappe; un bibliothécaire qui a une pile de livres à ranger après la fermeture de la bibliothèque; des jeunes qui dansent du hip-hop, épiés par une adolescente; un toxicomane qui reçoit sa dose dans un centre d’injection gérée par deux infirmières; on comprend que l’Islande est un pays très avant-gardiste en matière de gestion des addictions: L’une d’elle lui demande où il va passer Noël et si il est en relation avec sa famille, lui précisant que le centre est ouvert le 24 et le 25.

 

Cette succession de saynètes à la fois prosaïques, poétiques, heureuses ou tristes diffèrent également par leur longueur ou leur sujet mais pointent, de près ou de loin, des thématiques contemporaines universelles. Interprétés par trois-cent-trente acteurs, cet exercice de style singulier à la Raymond Queneau version septième art peut être salué pour son originalité, visuellement peaufiné mais dont les situations suscitent plus ou moins d’intérêt. Le réalisateur cherche surtout à disséquer les maux de notre société moderne – la dépression, l’upérisation du travail, les migrants refoulés, etc. – dans un contexte qui se veut, selon la tradition judéo-chrétienne, accueillant, bienveillant et tolérant. On songe à l’assiette que la tradition populaire réservait au visiteur imprévu le soir de Noël, mais le film de Rúnar Rúnarsson rappelle de manière exhaustive la triste réalité de la condition humaine dans une société de plus en plus déshumanisée alors qu’elle se modernise. Cette collection de vignettes illustre des destins particuliers qui touchent aux universaux de notre humanité. Qu’ils soient proches ou éloignés, ces personnages luttent avec leur solitude, leurs peurs, leur générosité, leur présent et leur passé. Panorama contemporain tour à tour ironique et caustique, Echo permet à chaque personnage de s’interroger sur sa place dans la société dans laquelle il vit.

Firouz E. Pillet

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Firouz Pillet

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