Vivre avec les loups, Jean-Michel Bertrand poursuit son exploration des loups et de leur univers. Rencontre
Le réalisateur français Jean-Michel Bertrand avait déjà entraîné le public sur les traces du loup avec un premier volet intitulé La Vallée des loups (2016) puis un second, Marche avec les loups (2019). Si dans le premier long métrage, le cinéaste se lançait dans une quête personnelle pour parvenir à rencontrer des loups sauvages dans leur milieu naturel, dans le second film, Jean-Michel Bertrand racontait le grand mystère de la dispersion des loups et observe comment les jeunes loups quittent le territoire qui les a vus naître pour fonder leur propre meute sur un nouveau territoire.
Capable de briser toutes les idées reçues et les préjugés des détracteurs des loups, mais demeurant très clairvoyant sur leur situation, car grand connaisseur de la nature et de sa faune, Jean-Michel Bertrand nous parle du loup d’une manière totalement nouvelle et inattendue. Le documentariste animalier constate:
Il y aura bientôt des loups un peu partout en France. Il faut donc apprendre à « vivre avec les loups ».
Jean-Michel Bertrand connaît la nature comme sa poche puisqu’il est né en 1959 dans le Champsaur dans les Hautes-Alpes, où le bocage luxuriant côtoie la rudesse des hautes montagnes. L’école ne le passionne guère et il préfère aux cours la compagnie des animaux et la solitude des cimes. À seize ans, il se lance dans la vie active et exerce les métiers de moiteur de ski ou de planteur d’arbres. Affichant sa préoccupation pour la biodiversité avant même que l’écologie ne devienne une préoccupation de tous les jours, il tourne un premier long-métrage en Islande et reçoit le prix du festival Grands Voyageurs de Super Dévoluy. Sa passion pour les images est née et se poursuivra toujours avec le même souffle.
À Belfast et Dublin, il témoigne de la misère des enfants des rues, qui survivent en élevant des chevaux. Les grandes étendues de la Mongolie l’entraînent auprès de ses nomades. De retour en France, le cinéaste se met en quête de l’oiseau mythique qui peuple ses rêves depuis tout petit. Il part alors à la recherche de l’aigle dans les montagnes de son enfance pendant cinq ans (Vertige d’une rencontre, 2009). Puis, il entame sa trilogie sur les loups.
Le sujet est délicat, voire très sensible actuellement en Suisse. Depuis qu’Albert Rösti a accepté l’extermination du loup en brandissant l’argument de la régulation, quelque trente-trois loups ont été abattus, y compris des louveteaux. Pourtant, comme le souligne Jean-Michel Bertrand, les portées diminuent, les parents loups étant trop accaparés à défendre leur territoire et ne pouvant se consacrant pleinement à leurs petits.
Le sujet est tout aussi sensible en France, alimenté par le lobby tout-puissant des chasseurs, mais Jean-Michel Bertrand n’a que faire des querelles des détracteurs et des défenseurs des loups. Dépassant les polémiques stériles et les débats qui n’en sont pas, l’auteur nous amène de manière sensible et cinématographique à percevoir différemment la nature qui nous entoure et les animaux qui l’habitent : chevreuils, chamois, bouquetins, loups…
La séquence d’ouverture dévoile un motard sur une grosse cylindrée, équipée de volumineuses boîtes de transport, avançant avec prudence sur une route enneigée en forêt. À toute saison, Jean-Michel Bertrand part bivouaquer dans son abri en montagne, sur un flanc escarpé, milieu du territoire d’une meute. Son bivouac lui offre un repère idéal pour observer la faune qui l’entoure et pour partir à sa rencontre. La flore ne le laisse pas indifférent; on voit récolter divers champignons, truffes comprises, puis les sécher pour agrémenter ses repas durant les semaines de son séjour. On le voit aussi s’ébahir à la découverte de brins de génépi qu’il préparera pour en faire un fameux breuvage apprécié des montagnards et des bergers auxquels le cinéaste rend visite.
Pour comprendre les arguments des uns comme des autres, Jean-Michel Bertrand reprend inlassablement son bâton de pèlerin et part à la rencontre des bergers et de leurs patous, les représentants d’un conseil communal en Lorraine auxquels participent les agriculteurs, un chasseur. Le cinéaste parcourt aussi le parc national des Abruzzes ou encore les éleveurs des moutons blancs à la face noire dans le Haut-Valais.
Faisant de surprenantes rencontres, enrichissantes et constructives, Jean-Michel Bertrand entraîne le public dans des chemins de traverse encore préservés, au milieu de magnifiques paysages, livrant ses réflexions passionnantes et ses échanges captivants. En explorant la réalité complexe de la cohabitation entre loups et hommes, Jean-Michel Bertrand propose une vision apaisée, emplie d’humanisme et de bon sens. Bien éloigné des débats actuels houleux, son film invite une réflexion naturaliste et philosophique en cherchant à réunir pour discuter posément. Au fil de ses rencontres, le cinéaste animalier démontre qu’il existe des solutions capables de satisfaire tout le monde.
Demeurant réaliste, Jean-Michel Bertrand signe avec son style inimitable, mais redoutablement efficace une ode à la nature et questionne l’humanité contemporaine sur son rapport à la nature et sa capacité à vivre en bonne intelligence avec ses habitants.
De passage en Suisse, Jean-Michel Bertrand s’est rendu à Genève, à Lausanne puis en Valais pour échanger avec le public lors des avant-premières de son film. Rencontre:
Firouz E. Pillet
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